Deux entreprises
françaises sur trois affirment que la performance managériale joue un rôle
décisif dans la performance globale de l’entreprise¹. Parallèlement, 92 %
des salariés français se disent « facilement démotivés », et 23 %
d’entre eux sont insatisfaits de la relation avec leur manager direct, tout en
déclarant, pour 77 %, rester malgré tout impliqués dans leur entreprise.
Ajoutons quelques chiffres issus des plus
récentes études menées auprès des entreprises¹ :
- 17% des salariés voient leur patron comme « un adversaire »
- 23% d’entre eux, insatisfaits de la relation avec leur chef direct, remettent en question le style de management et les nombreux conflits.
- 45 % de collaborateurs se sentent peu écoutés par leur manager dans leurs propositions d’idées.
- Dans les PME, 30 % de salariés trouvent leur manager médiocre.
- 68 % des collaborateurs considèrent qu’il n’existe pas une bonne coopération entre les différentes directions de l’entreprise.
- 70 % trouvent que les directions ne sont pas suffisamment sensibles au climat social
Pourtant, 96 % des managers
français se disent eux, contents des relations avec leurs équipes…
Cette différence de perception, les
déficits relationnels, la motivation flottante et le climat social détérioré s’expliquent
par une combinaison de facteurs. Nous en avons déjà évoqué certains sur ce
blog, notamment le basculement, en 30 ans, d’une valeur travail à une valeur exclusivement
financière. Mais un autre facteur réside dans une forme de gouvernance à la française
très hiérarchisée, très codifiée, presque monarchique, qui éloigne toujours
plus les responsables, du terrain, de l’écoute et de la réalité opérationnelle,
à chaque échelon franchi. L’entreprise française (et à travers elle les
managers eux-mêmes), très attachée aux diplômes et aux titres, confond encore trop
souvent une position sur un organigramme et le métier de manager. Et trop
souvent encore se fait l’amalgame de l’autoritarisme et du management. L’autoritarisme,
contre productif à long terme et parfois même à court terme, venant toujours tenter de compenser un manque de
savoir-faire relationnel. Les jeunes générations de collaborateurs sont beaucoup
moins prêtes à respecter une hiérarchie ayant pour seule justification l’organigramme.
Le « droit canon » de l’entreprise (pardonnez-nous cet abus de
langage) ne leur suffit pas à reconnaître la légitimité d’une hiérarchie amenée
alors à trouver d’autres codes de communication que l’autorité.
De plus, dans bien des cas, la
crise vient renforcer les mécanismes de crispation, là où l’on aurait au
contraire besoin d’ouverture à davantage de dimension humaine pour rebondir. La
bonne nouvelle est que, si des dysfonctionnements sont partiellement explicables
par des us culturels, l’évolution est possible. On peut d’ailleurs constater
qu’elle est en marche dans un certain nombre d’entreprises.
Les stéréotypes et la peur figent les systèmes et les
humains, se renforcent avec la crise… ou pas !
Les stéréotypes, dans
l’entreprise comme ailleurs, sont nombreux et ont parfois un ancrage profond.
Nous en avons choisi trois, que nous rencontrons fréquemment. L’objectif ici
est d’en discuter l’efficacité, et de voir qu’il existe d’autres exemples pour penser l'entreprise, et d’autres
cartes à jouer pour la rendre performante.
- Stéréotype 1 : la vision « business » doit primer, surtout en temps de crise
Les managers sont souvent très
centrés sur une vision principalement « business » de leur métier. Il
faut dire c’est la plupart du temps ce que leur demande l’entreprise. Par
ailleurs, les cursus de formation des écoles françaises les préparent
essentiellement à cela, les amenant à focaliser l’action sur la gestion, la
production, la performance quantitative et les tableaux de bord, bien davantage
que sur la compréhension et la prise en compte des fonctionnements humains qui
amènent à cette performance.
L’ouragan de la crise accroît cette
manière d’envisager l’action de l’entreprise. La pression s’intensifie, tant
pour les managers que pour les collaborateurs, et tout devient souvent plus
important et plus urgent que la dimension humaine pourtant intrinsèquement porteuse
de solutions. Pas de temps pour écouter les idées, peu d’inclinaison à
déléguer, à co-construire, à partager du sens et une vision, à intégrer l’émotion
comme composante de la motivation. Les indicateurs « rationnels »
sont renforcés en temps de crise. « Nombre de managers se
retranchent derrière des outils car ils manquent de confiance en eux, faute de
se sentir légitimes, estime Anne-Marie de Couvreur, PDG de l'opérateur de
radios d'entreprise Mediameeting. La pression des chiffres est telle que les
dirigeants élèvent au rang de managers des profils moins innovants et
charismatiques que consensuels, car ils ne peuvent pas se permettre de gérer la
moindre opposition. Ils veulent des ‘‘quick-wins'' et privilégient les
savoir-faire aux savoir-être, en restant dans les couches superficielles du
management. Car développer des savoir-être prend du temps. » (Extrait del’article de Laurance N’Kaoua dans Les Echos – 13/11/2012).
Toutefois, pour certaines
organisations, la crise est l’occasion, l’opportunité même, pour changer, instaurer
de nouveaux modes de fonctionnement. C’est justement pendant une crise (du grec
krisis, choix, décision, jugement)
que l’on peut faire d’autres choix. Les entreprises qui en prennent
progressivement conscience commencent à se pencher sur l’intérêt du
développement humain. Une nouvelle compréhension et réflexion commence à
émerger : pour optimiser la vision et l’objectif de développement
économique, équilibre interne et bien-être global sont nécessaires. Ce sont les
seuls leviers de performance qui assurent durablement que 100 % des énergies individuelles
et
collectives se concentrent sur la création de valeur
plutôt que sur des intrigues, des luttes d’intérêts, de pouvoir, ou sur des
stratégies de fuite coûteuses telles que les arrêts de travail et le turn-over. Ajoutons par ailleurs que, selon une étude statistique sur le bien-être au travail, le désengagement des salariés a coûté en 2011 aux entreprises, -23 % de valeur ajoutée.
Ainsi, les entreprises en recherche de nouvelles solutions pour mobiliser toutes les forces autour de la sortie de crise et vers le succès parviennent-elles à instaurer de nouveaux modes relationnels et managériaux. Reconnaissance, transparence, confiance, responsabilisation, sens, et de facto sentiment d’utilité. Ce sont là des principes à refléter dans des actions concrètes, au quotidien, tout en sachant que les bénéfices de ces pratiques se construisent sur une durée que l’on ne maîtrise pas, un nouveau climat social ne se décrétant pas. Mais il ne faut pas sous estimer la bonne volonté humaine et le dévouement dont sont capables les collaborateurs vis-à-vis de leur entreprise.
D’ailleurs, cette vision du facteur humain comme
moteur de la performance de l’entreprise forge déjà de longue date la
réussite exemplaire de bon nombre d’entreprises. Citons parmi les plus connues :
–
Altrad
–
Boiron
–
Corèle
–
KME France
–
Lafarge
–
…
- Stéréotype 2 : l’organisation pyramidale est le seul système viable, générateur de performance pour l’entreprise
L’organisation de l’entreprise
française obéit, nous l’avons dit, à une tradition très hiérarchisée, avec des
codes et des prérogatives associés à chaque strate. Ce système était peut-être
adapté à certaines époques et notamment aux visions tayloriennes du travail.
Mais le monde a changé. Et la crise, là encore, est passée par là, mettant à
mal les performances d’organisations basées exclusivement sur l’autoritarisme,
source, pour les collaborateurs, de stress, de perte de sens, de frustration et
de démotivation.
Nous l’avons évoqué dans
plusieurs articles sur ce blog, la génération dite « Y » largement relayée
par d’autres types de collaborateurs, a commencé à bousculer le credo en une
organisation hiérarchique forte et un pouvoir concentré entre les seules mains
de quelques uns. Par ailleurs, les managers et collaborateurs étrangers ou français
ayant un parcours international ont un jugement sévère sur le système français
considéré comme autocratique, arrogant et peu à l’écoute du terrain.
De telles organisations, même si
elles sont bien réelles, ne sont heureusement pas les seules représentantes de
l’entreprise en France. Et comme nous préférons toujours mettre en avant ce qui
est constructif et peut être modélisé, nous nous penchons sur les structures
qui privilégient une vision de l’entreprise « acteur
de la cité » et considèrent leurs collaborateurs comme des
adultes responsables. Ces entreprises, elles-mêmes parvenues au stade de la
maturité, ne craignent pas de renverser les stéréotypes, les codes
de collaboration et les pyramides en tous genres. Elles sont convaincues que
pour déjouer les pièges de compétitivité d’une économie globalisée, plutôt
qu’attendre des solutions externes (réglementaires, politiques ou
providentielles), mieux vaut s’organiser différemment. « Le seul avantage concurrentiel c’est la façon d’organiser
le management » déclare Carlos Verkaeren, PDG depuis dix
ans des biscuiteries Poult (230 millions de CA, 1.700 personnes dont 800 en
France). Dans cette société, depuis 2006, les salariés ont eux-mêmes travaillé
sur la vision de l’entreprise. Il n’y a plus d’organigramme, moins d’échelons
hiérarchiques, une organisation définie par les employés eux-mêmes. L’autonomie
est plus grande, l’engagement est fort et collectif, la productivité est accrue
et les résultats opérationnels ont doublé en 2 ans. Une exception que
cette entreprise ? Nullement. D’autres exemples du même type
organisationnel (et tout aussi performants) peuvent être cités :
-
Fonderie Favi (Picardie)
-
Chronoflex (Nantes)
-
Lippi (Poitou-Charentes)
-
Usocome (Alscace)
Les points communs de ces entreprises sont notamment :
- Une agilité créative des dirigeants, capables de transformer leur rapport au pouvoir, à l’entreprise et à la collaboration
- Un environnement et une culture transformés, devenus stimulants parce que laissant place au respect mutuel, à la confiance et à une autonomie collaborative
- Des salariés capables, eux aussi de transformer leur méfiance en confiance
- Un turnover très faible
- Des performances de rentabilité économique même en temps de crise
Jean-François Zobrist - Société Favi - Extrait de "manager par la confiance"
- Stéréotype 3 : l’évaluation des managers (de leurs pratiques) lorsqu’elle existe, ne doit être réalisée que par leur hiérarchie
Il s’agit là encore d’un élément
que l’on rencontre plus fréquemment en France que dans les pays anglo-saxon par
exemple, ceci s’expliquant par la tradition pyramidale. Mais à y regarder de
près, est-il vraiment sensé que les managers ne soient évalués dans leurs
pratiques que par ceux qu’ils ne managent pas ? Aurions-nous l’idée de demander
à nos fournisseurs de répondre à une enquête de satisfaction concernant nos clients ?
Il existe pourtant de très bons
outils de 360° permettant aux managers d’avoir un feedback sérieux et
professionnel sur leurs pratiques, à partir de questions précises et factuelles
posées à leurs collaborateurs et à un échantillon de son entourage élargi
(collègues, clients, hiérarchie). Pourtant, en France, seuls 13 % des managers se
prêtent à cette évaluation de pratiques par leurs collaborateurs. Les raisons
qui nous sont avancées lorsque nous suggérons un 360° sont presque toujours les
mêmes : « Oh, ici, ça va se
transformer en règlement de comptes ! » ; « Les gens ne sont pas mûrs pour ça chez nous. » ;
« Même avec des questionnaires
anonymes, ça risque de bouleverser beaucoup de choses »…
Il ressort de ces arguments une
véritable crainte des résultats. Mais s’il y a crainte, n’est pas que l’on sait
déjà qu’il y a un problème relationnel ? Une incompréhension ? Une
adhésion en pointillés ? Alors ne vaut-il pas mieux comprendre le
dysfonctionnement grâce à un outil fait pour cela, qui permettra ensuite de se
pencher sur des solutions concrètes pour récréer la collaboration ?
Et s’il n’y a aucune crainte,
alors pourquoi ne pas se lancer dans ce tour de table (anonyme rappelons-le) pour
savoir où l’on en est de sa pratique et l’améliorer ?
Les outils de 360°, très prisés dans
les pays anglo-saxons qui les ont inventés et redoutés en France peuvent pourtant
devenir un atout majeur : dans le quotidien professionnel du manager, dans
ses perspectives d’évolution de savoir-faire et aussi dans un recrutement. (Précisons
qu’il ne s’agit pas ici d’ériger pour autant en modèle les systèmes
anglo-saxons qui présentent eux aussi bien des imperfections et
dysfonctionnements, même si ceux-ci sont différents de nôtres.)
Mais
il faut par ailleurs préciser qu’en France, si deux entreprises sur trois sont
conscientes que la performance managériale joue un rôle décisif dans la performance
globale de l’entreprise, en même temps, dans deux entreprises françaises sur
trois, il n’existe pour autant pas de politique formalisée quant à la
performance managériale. C'est-à-dire que bien souvent les managers ne savent
pas ce que l’on attend précisément d’eux, dans ce métier d’animation d’équipe. « Le manager apparait avant tout comme
responsable de l’atteinte des objectifs business,… et se voit confier une
responsabilité supplémentaire : l’animation et le développement des
collaborateurs… ce SUPERMANager ne dispose cependant pas de SUPER moyens :
la fonction managériale, pourtant proclamée stratégique, ne repose pas sur une
politique officielle concrète, formalisée et diffusée. » (Extrait de l’enquête « Développer
la performance managériale : ce que font vraiment les entreprises » -
EM Lyon Business School, Hommes & Performances et APEC).
En conclusion, nous devons
constater, bien sûr, que les difficultés économiques, le manque de visibilité,
la compétition débridée, etc. engendrent, en entreprise comme pour les individus,
des fonctionnements bien connus : craintes, attentisme, repli sur soi,
absence de prise de risques, recherche de responsabilités. Un recentrage sur de
vieilles recettes qui, dans l’histoire, ont déjà trop souvent démontré leur
inefficacité, voire leur dangerosité. On peut raisonnablement penser qu’aujourd’hui,
elles amplifient et prolongent la crise. Car faire encore et toujours la même
chose produit toujours plus du même résultat. Heureusement, la crise génère
aussi, pour un certain nombre d’organisations, une nouvelle créativité, notamment
managériale, une recherche de nouvelles solutions et décisions, un appel aux
cerveaux de tous pour réfléchir et être force de propositions. Une véritable
innovation en matière de gestion du capital humain est en marche dans un nombre
croissant d’entreprises, transgressant la tradition de gouvernance à la française
pour développer la performance « autrement », en misant sur la
confiance, l’autonomie et l’intelligence collective.
1Sources
Enquête de Juin 2011 par Hommes & Performance, EM Lyon Business
School et l’APEC.
Manpowergroup
Infographie : http://www.manpowergroup.fr/infographie-management-argent-ne-fait-pas-le-bonheur/
Etude réalisée par OpinionWay pour Monster.fr auprès de 1013 salariés
français
Etude BVA pour Les Echos – Novembre 2012 : http://www.lesechos.fr/journal20121113/lec1_competences/0202376202643-salaries-et-managers-les-raisons-du-malentendu-510087.php
« Le climat social en France dans les entreprises privées et les
administrations » – Etude Cegos 2012
Infographie Salesforce : http://www.prafulla.net/wp-content/sharenreadfiles/2012/08/311011/employees_motivation-infographic.jpg
Etude statistique sectorielle sur le bien-être au travail :http://www.myrhline.com/actualite-rh/etude-statistique-sectorielle-2012-sur-le-bien-etre-mal-etre-au-travail.html
Etude statistique sectorielle sur le bien-être au travail :http://www.myrhline.com/actualite-rh/etude-statistique-sectorielle-2012-sur-le-bien-etre-mal-etre-au-travail.html
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