mercredi 18 mars 2015

Le lien social et la reconnaissance, au cœur des besoins et moteurs humains



La reconnaissance : un manque cruel ressenti en entreprise, privée ou publique. Un leitmotiv énoncé régulièrement par les collaborateurs, presque crié dans certaines structures. Un besoin vécu dans leur chair par certaines personnes qui l’expriment au travers de maux divers. Mais pourquoi un tel déficit ? Parce que la reconnaissance contribue à l’équilibre psycho physiologique et est au cœur des besoins et des moteurs de l’humain, alors que l’on a longtemps cru qu’AVANT TOUT autre chose comptaient les besoins matériels.


Une erreur de Maslow et Freud
Maslow nous a proposé dans les années 40 un modèle hiérarchisant les sources de motivations humaines. Il affirmait que la motivation primaire de l’humain est le besoin de se nourrir, les relations affectives n’étant, pour lui comme pour Freud, que secondaires, au service d’autres besoins (pour Freud : les pulsions libidinales). 

L’outil, la Pyramide de Maslow, a été élaboré à partir de cette représentation, ainsi que des croyances et connaissances psycho cognitives dont on disposait à l’époque. Il est important de saluer cet effort, car l’outil avait le mérite de vouloir structurer une réflexion sur le sujet. Néanmoins, il est très étonnant de constater qu’aujourd’hui encore, beaucoup de managers et autres professionnels continuent de se référer au modèle de Maslow ou de Freud ! En effet les apports de ces 20 dernières années sur le cerveau (neurosciences), la psychologie sociale, la sociologie permettent d’éclairer d’une lumière plus précise et plus juste les moteurs de l’humain.


Ce que l’on peut conserver de Maslow, c’est le besoin de survie comme déterminisme de tout système vivant. L’erreur majeure fut de hiérarchiser les besoins, d’y apposer une chronologie, et de positionner comme seule base de survie la physiologie comme étant séparée de la psychologie. En effet, Maslow nous disait que notre premier besoin était de manger et boire pour survivre, et que chaque autre besoin ne pouvait émerger qu’à la condition que le précédent soit comblé. 

Or, le corps et esprit sont un tout cohérent, nous le savons aujourd’hui. Et s’il est évident que l’on va mourir de faim et de soif si l’on n’est pas nourri, l’humain, même bien nourri, peut mourir du manque de lien affectif. Les expériences hygiénistes des orphelinats américains au début du 20ème siècle en ont apporté une douloureuse preuve (voir l’encadré sur « la famine affective »).

Équilibres physiologique et psychologique sont intra dépendants, et intra connectés, sans hiérarchie. Les maux du corps expriment souvent les déséquilibres de nos moteurs psychologiques. L’étymologie du langage reflète cette inter connexion par une racine commune à trois mots : motum (mouvement) qui a donné motricité / moteur ; émotion ; motivation. Motricité : notre corps se meut. Emotion : notre corps est mû. Motivation : notre corps souhaite se mouvoir vers un objectif.
Pas de hiérarchie ni de chronologie dans les besoins-moteurs humains, car plusieurs d’entre eux peuvent être simultanément en creux (ou en plein) et parfois même être en opposition. Et le curseur bouge en permanence au cours de notre vie. 


L’humain : un animal extrêmement social, biologiquement prédisposé aux liens

Pour plus de clarté, partons de la base : l’humain est un animal social. Hypersocial. Tellement social, que dans son évolution, il a fait du groupe un élément de survie individuelle. L’Homme a intégré que chasser, habiter, en groupe était plus efficace et sécure que l’action solitaire. Pour cela, la capacité à développer des liens sociaux, empathiques et collaboratifs serait un avantage majeur. Aussi la coopération fait-elle peut-être davantage partie des moyens de survie que la compétition, malgré ce que des courants de pensée économiques, politiques ou philosophiques nous ont livré durant des décennies. Preuve en est : les grandes catastrophes, naturelles ou non, qui mobilisent toujours spontanément de grands élans de solidarité, d’entre-aide et de compassion vis-à-vis des personnes touchées.

L’hyper sociabilité de l’humain se caractérise par la notion de groupe et d’appartenance. Dans nos cultures, le premier groupe est, normalement, la famille (ce concept n’a pas forcément la même forme partout) qui démarre par l’attachement à la personne ayant la fonction maternelle. C’est la première tribu qui nous accueille et nous… reconnaît. 

La reconnaissance passe donc avant tout par un lien d’empathie : écoute/reconnaissance des émotions et expressions de l’autre humain pour acceptation dans un cercle.

Cette notion d’appartenance au moyen de la reconnaissance empathique est fondamentale pour l’animal humain. L’intégration dans cette première tribu parentale et familiale peut déterminer la manière dont la personne sera en relation avec les autres durant sa vie d’adulte, dans tous les groupes dans lesquels elle aura à s’intégrer : tant dans le cadre des relations amicales, qu’amoureuses et professionnelles. Lorsqu’il y a un déficit de reconnaissance exprimée à un individu dans la tribu familiale, le manque ressenti peut se transformer en déséquilibre qui imprimera la vie, les choix, les comportements et relations de l’adulte.

La condition d’appartenance au groupe, quel que soit le groupe, est donc la reconnaissance mutuelle de ses membres. Il est difficile de se sentir « appartenir » et de trouver sa place dans un groupe qui ne vous reconnaît pas comme membre. 

Il est à présent plus aisé de comprendre pourquoi le manque de reconnaissance perçu peut créer des troubles importants avec un groupe auquel on est supposé appartenir. L’entreprise est un groupe essentiel dans lequel doit s’installer une reconnaissance mutuelle. Or en entreprise, on se trouve à la jonction de plusieurs éléments : le besoin/moteur caractérisant la base sociale de l’humain, le besoin/moteur spécifique de la personne (fonction de son histoire et son vécu personnel), la culture de l’entreprise et des individus.

La reconnaissance : bénéfique pour celui qui est reconnu comme pour celui qui est reconnaissant

La reconnaissance a une réalité physiologique exprimée dans notre cerveau : elle active les circuits
neurologiques de la récompense : noyau accumbens, dopamine. Elle génère également la production d’ocytocine (cf. les travaux du neurobiologiste Paul Zak), l’hormone de la confiance et de la cohésion sociale. Or le système de récompense est à la base des mécanismes de nos motivations, indispensable à la survie. La reconnaissance fait ainsi partie des éléments aussi essentiels à la survie que la nourriture. Elle est, en amont, ce qui va déclencher la motivation à se nourrir (cf. l’encadré sur « La famine affective »). A l’inverse, l’humain est capable de mettre sa vie en danger et aller jusqu’aux extrêmes lorsque le déficit de reconnaissance perçue est insoutenable : grève de la faim pour faire reconnaître une cause, suicide au travail dans certains cas de mise au placard ou de harcèlement.

Depuis quelques années, on sait également que la reconnaissance est non seulement bénéfique pour la personne qui en reçoit les manifestations, mais également pour celle qui l’exprime. Ici la notion de reconnaissance mutuelle prend tout son sens. Les travaux des chercheurs Robert Emmons (Univ. Californie) et Michael McCullough (Univ Miami) ont montré que le simple fait de « remercier » une personne procure un sentiment de bien-être bien sûr pour la personne remerciée, et aussi pour la personne qui remercie, jusqu’à rendre « extrêmement heureux » ! 

La puissance de la reconnaissance est telle que les travaux de ces chercheurs ont pu démontrer un lien entre les émotions positives dues à la gratitude ressentie ET exprimée (il ne suffit pas de ressentir) et la santé physique, mentale et sociale. L’orientation reconnaissante procure bien-être et vision plus positive, réduit les risques de dépression, aide à développer du lien social en favorisant la confiance et les comportements prosociaux.

La reconnaissance mutuelle est un moteur qui peut tout changer pour le vivre ensemble… en entreprise et dans la société

Il devient clair au vu de toutes ces  découvertes que développer les manifestations de reconnaissance mutuelle est un enjeu de bien-être dans l’entreprise et de vivre ensemble dans la société. A l’heure où des radicalisations pseudo religieuses (en réalité identitaires) dangereuses s’expriment, le déficit de reconnaissance perçue semble être un des facteurs majeurs du processus (ce qui ne remet pas en cause la responsabilité des personnes commettant des actes répréhensibles, mais peut permettre des pistes de réflexion et d’actions).

Lorsque l’on constate les bienfaits du phénomène de reconnaissance, il est facile alors de faire le lien, dans l’entreprise, entre équilibre de reconnaissance perçue et motivation à s’engager, à optimiser son action, à développer sa créativité et son utilité, etc. 

Une des difficultés pour l’entreprise est de savoir comment doit s’exprimer la reconnaissance

Mais si le lien cognitif peut aisément être fait (à condition de vouloir entendre, comprendre et d’accepter les remises en question et les prises de conscience…), une des difficultés de l’entreprise est assez souvent de savoir COMMENT peut s’exprimer la reconnaissance. Le premier « réflexe », la pensée la plus immédiate est fréquemment de vouloir manifester la reconnaissance au travers d’une rémunération. Pourtant, méfions-nous des évidences ! En effet, agir sur la rémunération est, semble-t-il, le plus simple pour l'entreprise.  Il faut dire que les collaborateurs sont eux-mêmes victimes de cette illusion qui nous fait croire que le salaire est l’expression la plus importante de la reconnaissance.
L'entreprise croit alors parfois pouvoir faire l’économie de questionner sa culture, le cadre organisationnel, sa politique managériale, la manière dont les personnes interagissent, se parlent, collaborent… et constater, quelques temps après de fortes augmentations, qu’il y a toujours des problèmes de baisse de motivation, de déficit collaboratif, de stress, d’insatisfaction.

Elle n’en est pourtant qu’un des rouages. Rémunérer plus va activer les systèmes de récompense et donc de motivation du cerveau… pendant quelques mois. Mais l’effet est limité dans le temps et dans la puissance. A l’inverse, rémunérer insuffisamment un collaborateur (sentiment d’injustice perçu) sera un facteur de démotivation durable. 

En revanche, instaurer la confiance, développer l’autonomie, permettre les expérimentations, développer des interactions relationnelles et une culture de reconnaissance dans les comportements seront des éléments déterminants. Les comportements par exemple peuvent passer par des choses simples, que l’on oublie souvent : le bonjour le matin (un vrai bonjour, pas un acte insipide), le remerciement (oui, les personnes sont payées pour faire ce qu’elles font, et alors ??? En quoi remercier serait-il contradictoire avec cette réalité ?), le sourire, l’information partagée, l’interaction en face à face plutôt que par mail ou par note de service, des emails aux formes soignées… Une myriade de comportements peut être repensée pour développer une nouvelle culture de reconnaissance au sein d’une entreprise qui aura peut-être aussi à repenser son organisation, sa communication, sa relation client et autres processus. Confère l’excellent reportage de Arte : « Le bonheur au travail ».

Conclusion

En résumé, la reconnaissance procède à la fois d’une exigence et d’une capacité biologique, participe du mécanisme de survie individuelle et collective. A ce titre, elle est un enjeu fondamental de la vie de l’entreprise et de la vie en société. Elle est au cœur d’un fonctionnement optimisé du cerveau, de l’efficacité professionnelle et de l’engagement. Elle est très concrètement au cœur de l’approche opérationnelle humaniste proposée et accompagnée par La Consultante Enervante. Elle est magnifiquement mise en œuvre avec succès par certaines sociétés françaises performantes (Poult, Chronoflex, Favi…). Prendre en compte, en profondeur, en conscience, le moteur de la reconnaissance peut permettre, nous semble-t-il, un tournant déterminant positif dans la vie, le développement des entreprises et de la société dans son vivre ensemble. 

Sources, les travaux de : Martin Seligman - chercheur en psychologie et professeur à l'Université de Pennsylvanie ; Rebecca Shankland - Laboratoire Interuniversitaire de Psychologie Personnalité, Cognition, Changement Social ; Bernadette Lecerf-Thomas (« Activer les talents avec les neurosciences ») ; Paul Zak - neurobiologiqte