dimanche 14 octobre 2012

Réseaux sociaux et crises : ils changent les sociétés, le monde… et l’entreprise




Avènement du web 2.0, les réseaux sociaux ont investi bien des sphères de la société, transformant les modes d’information, d’expression et d’interaction. A cela s’ajoutent les crises déclarées, visibles depuis 2007, bouleversant l’homéostasie des sociétés et des entreprises. Ainsi, pour répondre aux nouveaux enjeux du monde économique et du monde tout court, les manières de penser l’entreprise, l’organisation et le management doivent évoluer et se restructurer sous peine de ne pouvoir projeter et construire un futur cohérent, souhaité plutôt que subi.


La société se réorganise

Les changements sociétaux se sont multipliés, accélérés au cours des dix dernières années, s’apparentant souvent même à des bouleversements : mondialisation, globalisation économique, environnement / écosystème / biodiversité, crises financières et sociales, révolutions politiques… Le tout, au rythme d’un autre mouvement : celui des nouvelles technologies de communication.

Tout est allé si vite que les sociétés commencent tout juste à prendre conscience des mutations. Mais bien des entreprises françaises, quant à elles, tout comme n’importe quel organisme vivant face à une perception de danger, hésitent entre la fuite, la lutte et l’immobilisme. Peu ont réalisé ou surtout intégré les conséquences des changements du monde. 

Nos jeunes générations sont nées avec un téléphone portable greffé à l’oreille et un clavier au bout des doigts. Ils ont grandi avec les réseaux sociaux, ces enfants d’internet que Michel Serres nomme « Petite Poucette » en raison de l’usage constant du pouce pour communiquer par texto ou réseau. Reliés à leurs « clans » la plus grande partie du temps par une connexion, ils ont développé au travers de la technologie de nouvelles formes relationnelles, basées sur l’échange, le partage et la « co » relation : co-llaboration, co-opération, co-oportunité, co-création, communauté.  

Ces jeunes adultes (autrement appelés « digital natives » ou encore génération Y) ont une vision circulaire des ressources, de l’information, des connaissances : l’important n’est pas d’en être propriétaire, mais de pouvoir y accéder et les utiliser.

Ainsi a-t-on d’abord vu fleurir des logiciels open source et au-delà, tout un monde coopératif, démarrant sur internet et s’incarnant ensuite dans une réalisation concrète. Cette tendance s’est encore accentuée avec les crises apparues depuis 4 ans. On en est aujourd’hui à un monde de : partage d’informations et de savoirs (presse, co-universités, wikis…) d’opinions et de réflexion (think-tanks, forums, blogs), co-working, réseaux solidaires, consommation collaborative, mouvements collaboratifs alimentaires, co-voiturage, co-location, co-habitat (avec partage de ressources), co-financement (financement participatif, prêts communautaires, capital-risque solidaire).
Bien plus que des formes de simple « débrouille », c’est un nouveau mode de vie qui a déjà investi de nombreuses strates de la société, et plus uniquement les très jeunes.
La forme imprime le fond. Et les possibilités offertes par les outils numériques ont ainsi commencé à modifier certains fonctionnements sociétaux et modes de pensée, réinventant par la base la RES PUBLICA aux valeurs réaffirmées sur le net et les réseaux sociaux :

  •  Liberté : d’expression, d’opinion (tant de possibilités de co-réflexion) de créativité, d’initiatives. Une intelligence collective qui émerge de façon totalement volontaire, sans repères pyramidaux ou hiérarchiques.
  • Egalité : le pouvoir conféré par le savoir n’est plus. Où que l’on soit, ville ou campagne, quel que soit le moment, tout un chacun peut accéder aux savoirs et à l’information en temps réel. Ils ne sont plus l’apanage de quelques uns, d’un territoire, ou d’un temps donné. Chacun a « voix au chapitre » et, s’il a un talent, a ses chances de le faire connaître et reconnaître par les internautes sans les freins habituels. On peut oser davantage.
  • Fraternité : une logique de partage, de confiance, de coopération, d’économie collaborative. Un sentiment d’appartenance et d’engagement choisis.

Pas d’angélisme

Bien sûr, on ne saurait ignorer les risques et travers de ces nouveaux modes d’interaction :

  •    De la communauté au communautarisme, le pas peut parfois être franchi.
  •    L’accès aux savoirs ne signifie pas toujours la compréhension des savoirs.
  •    La libre expression, souvent possible de manière anonyme, peut donner lieu à des excès et des déchaînements peu éthiques. L’on peut facilement détruire sa propre e-réputation ou celle d’un tiers.
  •   Si le plus grand nombre a accès aux nouvelles technologies, certains en sont encore exclus.

Tout n’est pas simple et idéal et même si l’envie et la volonté de collaborer se développent de façon naturelle, il ne faut pas éluder les écueils. Ceci étant, il est important de comprendre que la collaboration n’a rien de nouveau. Elle a fait partie du processus d’évolution humaine grâce auquel l’homme a pu survivre dans un environnement hostile.



La collaboration s’inscrit dans notre biologie humaine

L’idée selon laquelle l’individualisme et la compétition font partie de la nature humaine est une croyance répandue, que l’on nous transmet dès l’enfance, notamment dans le système éducatif. Mais ça n’est qu’une croyance, même si la théorie de l’homo economicus a pourtant largement imprégné nos visions du monde et nos façons d’interagir dans la vie, dans la vie économique et dans l’entreprise. 

Pourtant, dès les années 70, Eibl-Eibesfeeldt, fondateur de l’éthologie humaine, affirmait que les normes morales ont des fondements biologiques et que « la nature humaine est sociable et accueillante, même si nous ne pouvons ignorer qu’elle comporte des tendances antagonistes ». Les nombreux travaux de l’éthologue Frans de Waal quant à eux ont largement développé et renforcé ces notions. « L’empathie fait partie intégrante de notre évolution » nous dit-il à partir de l’observation de l’altruisme des chimpanzés et des bonobos avec lesquels nous partageons 99 % de patrimoine génétique. « Elle est un trait robuste qui se développera chez quasiment tous les êtres humains, sur lequel la société peut compter et qu’elle est en mesure d’encourager et de cultiver. C’est un universel humain »1. L’anthropologue Douglas Fry2 et bien d’autres ont également démontré ces dernières années que les chasseurs-cueilleurs, nos ancêtres, ont une logique de partage en situation de rareté comme en contexte d’abondance.

Par ailleurs, les séries d’expériences menées par la psychologie moderne et les neuroscientifiques prouvent que l’altruisme est spontané chez le tout jeune enfant, que cette capacité est innée et que l’éducation ne fait que la renforcer (ou pas) sans la créer. Ces recherches viennent bien sûr contredire les affirmations de Freud ou de Piaget.

Ce que l’on sait aujourd’hui grâce à l’étude du cerveau, c’est que l’altruisme est ancrédans notre biologie au travers des neurones miroirs, de l’hormone de l’attachement (ocytocine) essentielle aux relations humaines car favorisant l’empathie, la générosité, la confiance3, et des circuits de la récompense. La relation de collaboration liée à l’altruisme s’inscrit dans une logique biologique de survie et de maintien de l’espèce : il est plus utile de coopérer lorsqu’on n’est pas le plus fort, qu’on ne sait pas tout, qu’on ne peut pas tout. Et, phénomène très important, la coopération vient activer dans le cerveau nos circuits de récompense qui restent par ailleurs inactifs lorsque nous sommes en situation de compétition. Même s’il est incontestable que l’agressivité et le combat font partie de notre potentiel, la propension à la collaboration et à la générosité sont partie intégrante du capital humain et sont ce qui est recherché, à la fois pour survivre et pour se faire du bien. Ceci est une tout de même une gifle magistrale aux théories basées sur un égoïsme naturel.



L’heure de la transversalité : vers un management collaboratif

La révolution initiée par les réseaux sociaux commence à se prolonger dans l’entreprise. Plus que jamais celle-ci est un acteur de la société. 

Modulant les relations externes de l’entreprise, les réseaux sociaux influencent les politiques marketings et les stratégies. Parfois hélas, l’entreprise qui n’a pas su anticiper et mesurer l’importance de ces nouveaux medias peut avoir à en subir les inconvénients. On parle de vous, que vous le vouliez ou non. En bien… ou en mal. La notoriété positive se développe de façon construite et volontaire, et elle se détruit en quelques clics avec la publication d’une vidéo  ou d’une information compromettantes.

Et les medias sociaux impactent également les relations internes. Via ces jeunes générations arrivées avec des codes différents, face auxquels certains managers ne savent comment se comporter. L’autorité hiérarchique, le pouvoir du savoir semblent ne pas avoir beaucoup de prise sur les « réseauborateurs ». L’autorité pyramidale, l’information et les consignes descendantes sont un mode de fonctionnement incompréhensible pour eux, qui ne produit que peu d’engagement. Michel Serres nous rappelle que la véritable autorité est celle qui grandit l’autre, et de citer l’étymologie du mot : « auctoritas, dont la racine se rattache au même groupe que augere, qui signifie "augmenter" »4

Une autre forme de leadership doit ainsi apparaître. A l’heure des technologies et outils collaboratifs, pourquoi ne pas s’inspirer de ces pratiques et modéliser l’entreprise sur la même logique ? Le partage d’information, transversal aujourd’hui sur les réseaux, peut aider à structurer les relations dans l’entreprise sur le même mode. Pour les « réseauborateurs » les rapports sociaux sont essentiels, y compris dans la sphère professionnelle. 

Il est besoin d’une nouvelle culture d’entreprise qui recrée du collectif et de la solidarité.  Par nécessité : adaptation-survie-communauté d’intérêts.  Et par envie : plaisir de la récompense, du sentiment d’appartenance, d’action et de contribution. 



C’est à ce prix qu’est l’avenir de l’entreprise et des collaborateurs. Parce que les actions, les décisions s’inscrivent aujourd’hui dans un hyper mouvement et une accélération vertigineuse. Parce qu’il faut une anticipation et une adaptation permanentes et des capacités de créativité démultipliées. Parce que bien sûr personne ne sait tout. L’intelligence collective est alors une composante essentielle de la collaboration.  
Mais, même si le besoin et l’envie sont présents, et si la co- relation s’instaure de fait de plus en plus,  même si l’on sait que l’information  partagée renforce l’empathie, la créativité et la co-action, coopérer s’apprend ou se réapprend. La solidarité, ça se construit dans le temps. Nous devons travailler notre intelligence sociale.  

Des projets élaborés en commun, des valeurs co-construites et vécues dans un quotidien opérationnel, un mode de management collaboratif. Les ressources foisonnent pour s’accoutumer à mettre en œuvre une sociocratie : théorie U, WorldCafé, forums ouverts, jeux coopératifs, projets solidaires hors champ professionnel, RSE (qui peut tout aussi bien signifier « Responsabilité Sociétale de l’Entreprise » que « Réseau Social de l’Entreprise »).

L’entreprise doit faire émerger de nouveaux paradigmes pour anticiper et construire son avenir. Cela veut sans doute dire s’alléger des certitudes, mettre un mouchoir sur certains a priori, faire le deuil des relations pyramidales car elles ne sont plus adaptées, s’ouvrir avec curiosité aux innovations, à l’inédit, voire à l’impossible et à l’utopie ! Remplacer la peur et l’attentisme par l’audace. Rappelons en conclusion cette maxime d’Einstein : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ».

Pour aller plus loin, cliquer ici

 Références :
1 Le bon singe. Les bases naturelles de la morale – Frans de Waal
L’âge de l’empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire – Frans de Waal
2 The Human potential for peace. An Anthropological challenge to assumptions about war and violence –   Douglas Fry – University Press
4 Article de Michel Serres : « La seule autorité possible est fondée sur la compétence » http://www.lepoint.fr/societe/michel-serres-la-seule-autorite-possible-est-fondee-sur-la-competence-21-09-2012-1509004_23.php
« Vive la co-révolution ! – Pour une société collaborative » - Stéphane Riot, Sophie Novel
« La bonté humaine  - Altruisme, empathie, générosité » Jacques Lecomte
« RSE, ou comment Remettre de la Solidarité dans l'Entreprise » JM Pasquier - http://www.lexpress.fr/emploi-carriere/emploi/remettre-de-la-solidarite-dans-l-entreprise_1165310.html
Entrepreneurs d’avenir : http://www.entrepreneursdavenir.com/
Institut des futurs souhaitables : http://www.futurs-souhaitables.org/
Génération responsable : http://www.facetoface-eshop.com/boutique/gr/


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire