Avènement du web 2.0, les réseaux sociaux ont investi
bien des sphères de la société, transformant les modes d’information, d’expression
et d’interaction. A cela s’ajoutent les crises déclarées, visibles depuis 2007,
bouleversant l’homéostasie des sociétés et des entreprises. Ainsi, pour
répondre aux nouveaux enjeux du monde économique et du monde tout court, les manières
de penser l’entreprise, l’organisation et le management doivent évoluer et se
restructurer sous peine de ne pouvoir projeter et construire un futur cohérent,
souhaité plutôt que subi.
La société se
réorganise
Les
changements sociétaux se sont multipliés, accélérés au cours des dix
dernières années, s’apparentant souvent même à des bouleversements :
mondialisation, globalisation économique, environnement / écosystème /
biodiversité, crises financières et sociales, révolutions politiques… Le tout,
au rythme d’un autre mouvement : celui des nouvelles technologies de
communication.
Tout est allé
si vite que les sociétés commencent tout juste à prendre conscience des
mutations. Mais bien des entreprises françaises, quant à elles, tout comme n’importe
quel organisme vivant face à une perception de danger, hésitent entre la fuite,
la lutte et l’immobilisme. Peu ont réalisé ou surtout intégré les conséquences
des changements du monde.
Nos jeunes
générations sont nées avec un téléphone portable greffé à l’oreille et un
clavier au bout des doigts. Ils ont grandi avec les réseaux sociaux, ces
enfants d’internet que Michel Serres nomme « Petite Poucette » en
raison de l’usage constant du pouce pour communiquer par texto ou réseau.
Reliés à leurs « clans » la plus grande partie du temps par une
connexion, ils ont développé au travers de la technologie de nouvelles formes relationnelles,
basées sur l’échange, le partage et la « co » relation : co-llaboration,
co-opération, co-oportunité, co-création, communauté.
Ces jeunes
adultes (autrement appelés « digital natives » ou encore génération Y)
ont une vision
circulaire des ressources, de l’information, des connaissances :
l’important n’est pas d’en être propriétaire, mais de pouvoir y accéder et les
utiliser.
Ainsi a-t-on d’abord
vu fleurir des logiciels open source et au-delà, tout un monde coopératif,
démarrant sur internet et s’incarnant ensuite dans une réalisation concrète. Cette
tendance s’est encore accentuée avec les crises apparues depuis 4 ans. On en
est aujourd’hui à un monde de : partage d’informations et de savoirs
(presse, co-universités, wikis…) d’opinions et de réflexion (think-tanks, forums,
blogs), co-working, réseaux solidaires, consommation collaborative,
mouvements collaboratifs alimentaires, co-voiturage, co-location, co-habitat
(avec partage de ressources), co-financement (financement participatif, prêts
communautaires, capital-risque solidaire).
Bien plus que
des formes de simple « débrouille », c’est un nouveau mode de vie qui
a déjà investi de nombreuses strates de la société, et plus uniquement les très
jeunes.
La forme
imprime le fond. Et les possibilités offertes par les outils numériques ont
ainsi commencé à modifier certains fonctionnements sociétaux et modes de
pensée, réinventant par la base la RES PUBLICA aux valeurs réaffirmées sur le
net et les réseaux sociaux :
- Liberté : d’expression, d’opinion (tant de possibilités de co-réflexion) de créativité, d’initiatives. Une intelligence collective qui émerge de façon totalement volontaire, sans repères pyramidaux ou hiérarchiques.
- Egalité : le pouvoir conféré par le savoir n’est plus. Où que l’on soit, ville ou campagne, quel que soit le moment, tout un chacun peut accéder aux savoirs et à l’information en temps réel. Ils ne sont plus l’apanage de quelques uns, d’un territoire, ou d’un temps donné. Chacun a « voix au chapitre » et, s’il a un talent, a ses chances de le faire connaître et reconnaître par les internautes sans les freins habituels. On peut oser davantage.
- Fraternité : une logique de partage, de confiance, de coopération, d’économie collaborative. Un sentiment d’appartenance et d’engagement choisis.
Pas d’angélisme
Bien sûr, on
ne saurait ignorer les risques et travers de ces nouveaux modes d’interaction :
- De la communauté au communautarisme, le pas peut parfois être franchi.
- L’accès aux savoirs ne signifie pas toujours la compréhension des savoirs.
- La libre expression, souvent possible de manière anonyme, peut donner lieu à des excès et des déchaînements peu éthiques. L’on peut facilement détruire sa propre e-réputation ou celle d’un tiers.
- Si le plus grand nombre a accès aux nouvelles technologies, certains en sont encore exclus.
Tout n’est pas
simple et idéal et même si l’envie et la volonté de collaborer se développent
de façon naturelle, il ne faut pas éluder les écueils. Ceci étant, il est
important de comprendre que la collaboration n’a rien de nouveau. Elle a fait
partie du processus d’évolution humaine grâce auquel l’homme a pu survivre dans
un environnement hostile.
La
collaboration s’inscrit dans notre biologie humaine
L’idée selon
laquelle l’individualisme et la compétition font partie de la nature humaine
est une croyance répandue, que l’on nous transmet dès l’enfance, notamment dans
le système éducatif. Mais ça n’est qu’une croyance, même si la théorie de l’homo
economicus a pourtant largement imprégné nos visions du monde et nos façons d’interagir
dans la vie, dans la vie économique et dans l’entreprise.
Pourtant, dès
les années 70, Eibl-Eibesfeeldt, fondateur de l’éthologie humaine, affirmait
que les normes morales ont des fondements biologiques et que « la nature humaine est sociable et
accueillante, même si nous ne pouvons ignorer qu’elle comporte des tendances
antagonistes ». Les nombreux travaux de l’éthologue Frans de Waal quant
à eux ont largement développé et renforcé ces notions. « L’empathie fait partie intégrante de notre évolution »
nous dit-il à partir de l’observation de l’altruisme des chimpanzés et des bonobos
avec lesquels nous partageons 99 % de patrimoine génétique. « Elle est un trait robuste qui se développera
chez quasiment tous les êtres humains, sur lequel la société peut compter et qu’elle
est en mesure d’encourager et de cultiver. C’est un universel humain »1.
L’anthropologue Douglas Fry2 et bien d’autres ont également démontré
ces dernières années que les chasseurs-cueilleurs, nos ancêtres, ont une
logique de partage en situation de rareté comme en contexte d’abondance.
Par ailleurs,
les séries d’expériences menées par la psychologie moderne et les
neuroscientifiques prouvent que l’altruisme est spontané chez le tout jeune
enfant, que cette capacité est innée et que l’éducation ne fait que la
renforcer (ou pas) sans la créer. Ces recherches viennent bien sûr contredire
les affirmations de Freud ou de Piaget.
Ce que l’on
sait aujourd’hui grâce à l’étude du cerveau, c’est que l’altruisme est ancrédans notre biologie au travers des neurones miroirs, de l’hormone de l’attachement
(ocytocine) essentielle aux relations humaines car favorisant l’empathie, la
générosité, la confiance3, et des circuits de la récompense. La relation de collaboration
liée à l’altruisme s’inscrit dans une logique biologique de survie
et de maintien de l’espèce : il est plus utile de coopérer lorsqu’on n’est
pas le plus fort, qu’on ne sait pas tout, qu’on ne peut pas tout. Et, phénomène
très important, la
coopération vient activer dans le cerveau nos circuits de récompense
qui restent par ailleurs inactifs lorsque nous sommes en situation de
compétition. Même s’il est incontestable que l’agressivité et le combat font
partie de notre potentiel, la propension à la collaboration et à la générosité
sont partie intégrante du capital humain et sont ce qui est recherché, à la
fois pour survivre et pour se faire du bien. Ceci est une tout de même une
gifle magistrale aux théories basées sur un égoïsme naturel.
L’heure de la transversalité : vers
un management collaboratif
La révolution initiée
par les réseaux sociaux commence à se prolonger dans l’entreprise. Plus que
jamais celle-ci est un acteur de la société.
Modulant les
relations externes de l’entreprise, les réseaux sociaux influencent les
politiques marketings et les stratégies. Parfois hélas, l’entreprise qui n’a
pas su anticiper et mesurer l’importance de ces nouveaux medias peut avoir à en
subir les inconvénients. On parle de vous, que vous le vouliez ou non. En bien…
ou en mal. La notoriété positive se développe de façon construite et
volontaire, et elle se détruit en quelques clics avec la publication d’une
vidéo ou d’une information compromettantes.
Et les medias
sociaux impactent également les relations internes. Via ces jeunes générations arrivées
avec des codes différents, face auxquels certains managers ne savent comment se
comporter. L’autorité hiérarchique, le pouvoir du savoir semblent ne pas avoir beaucoup
de prise sur les « réseauborateurs ».
L’autorité pyramidale, l’information et les consignes descendantes sont un mode
de fonctionnement incompréhensible pour eux, qui ne produit que peu d’engagement.
Michel Serres nous rappelle que la véritable autorité est celle qui grandit l’autre,
et de citer l’étymologie du mot : « auctoritas, dont la racine se
rattache au même groupe que augere, qui signifie "augmenter" »4.
Une autre
forme de leadership doit ainsi apparaître. A l’heure des technologies et outils
collaboratifs, pourquoi ne pas s’inspirer de ces pratiques et modéliser l’entreprise
sur la même logique ? Le partage d’information, transversal aujourd’hui
sur les réseaux, peut aider à structurer les relations dans l’entreprise sur le
même mode. Pour les « réseauborateurs »
les rapports sociaux sont essentiels, y compris dans la sphère professionnelle.
Il est besoin
d’une nouvelle culture d’entreprise qui recrée du collectif et de la solidarité.
Par nécessité : adaptation-survie-communauté
d’intérêts. Et par envie : plaisir
de la récompense, du sentiment d’appartenance, d’action et de contribution.
C’est à ce
prix qu’est l’avenir de l’entreprise et des collaborateurs. Parce que les
actions, les décisions s’inscrivent aujourd’hui dans un hyper mouvement et une
accélération vertigineuse. Parce qu’il faut une anticipation et une adaptation
permanentes et des capacités de créativité démultipliées. Parce que bien sûr
personne ne sait tout. L’intelligence collective est alors une composante
essentielle de la collaboration.
Mais, même si le
besoin et l’envie sont présents, et si la co- relation s’instaure de fait de
plus en plus, même si l’on sait que l’information partagée renforce l’empathie, la créativité
et la co-action, coopérer s’apprend ou se réapprend. La solidarité, ça se
construit dans le temps. Nous devons travailler notre intelligence sociale.
Des projets
élaborés en commun, des valeurs co-construites et vécues dans un quotidien
opérationnel, un mode de management collaboratif. Les ressources foisonnent
pour s’accoutumer à mettre en œuvre une sociocratie : théorie U,
WorldCafé, forums ouverts, jeux coopératifs, projets solidaires hors champ
professionnel, RSE (qui peut tout aussi bien signifier « Responsabilité
Sociétale de l’Entreprise » que « Réseau Social de l’Entreprise »).
L’entreprise doit faire émerger de nouveaux
paradigmes pour anticiper et construire son avenir. Cela veut sans doute dire s’alléger
des certitudes, mettre un mouchoir sur certains a priori, faire le deuil des relations
pyramidales car elles ne sont plus adaptées, s’ouvrir avec curiosité aux innovations, à l’inédit, voire à l’impossible
et à l’utopie ! Remplacer la peur et l’attentisme par l’audace. Rappelons en
conclusion cette maxime d’Einstein : « On ne résout pas un problème
avec les modes de pensée qui l’ont engendré ».
Pour aller plus loin, cliquer ici
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Références :
1
Le bon singe. Les bases naturelles de la morale – Frans de Waal
L’âge
de l’empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire – Frans de Waal
2 The Human potential for peace. An
Anthropological challenge to assumptions about war and violence – Douglas Fry –
University Press
3 Travaux de Paul Zak – Neuro économiste
4 Article
de Michel Serres : « La seule autorité possible est fondée sur la
compétence » http://www.lepoint.fr/societe/michel-serres-la-seule-autorite-possible-est-fondee-sur-la-competence-21-09-2012-1509004_23.php
« Vive la
co-révolution ! – Pour une société collaborative » - Stéphane Riot,
Sophie Novel
« La bonté
humaine - Altruisme, empathie, générosité » Jacques Lecomte
« RSE, ou comment Remettre de la Solidarité dans l'Entreprise »
JM Pasquier - http://www.lexpress.fr/emploi-carriere/emploi/remettre-de-la-solidarite-dans-l-entreprise_1165310.html
Entrepreneurs
d’avenir : http://www.entrepreneursdavenir.com/
Institut des
futurs souhaitables : http://www.futurs-souhaitables.org/
Génération
responsable : http://www.facetoface-eshop.com/boutique/gr/
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