samedi 2 avril 2016

Le lien humain et social : un besoin et une capacité neuronale ancestrale



Au-delà de la bien-pensance ou de la morale, pourquoi est-il primordial de recréer/maintenir le lien humain qui semble actuellement mis à mal  ? Une des raisons qui mérite d'être rappelée réside dans notre histoire ancestrale : c’est la collaboration collective qui a permis à l’être humain, au cours de l’évolution des espèces, de perpétuer son existence sur la planète. En effet, ce ne sont pas les humains les plus forts qui ont le plus transmis leurs gènes, mais les plus sociables, capables de coopérer et de nouer des liens affectifs et de solidarité.
Espèce la plus sociale de sa catégorie, l’être humain est biologiquement doté de tout un équipement neuronal permettant l’empathie, base de la coopération / collaboration et de la reconnaissance. C’est avec cet équipement que (très schématiquement) l’humain a « choisi » de se regrouper pour chasser, habiter, se protéger. 

Les modes culturels, économiques, scolaires, éducatifs, les évolutions techniques (etc.) semblent souvent affaiblir cette conscience et cette capacité d’hyper socialisation, en apparence en tous cas. Néanmoins, il suffit qu’une catastrophe touchant un collectif humain survienne (inondation, tempête, éboulement, accident de grande envergure,…) pour voir de grands mouvements de solidarité se déclencher spontanément, ou qu’un attentat soit perpétré pour constater et expérimenter le besoin humain puis citoyen de se rassembler, de se recueillir « ensemble », de réactiver des codes de reconnaissance communs (chanter la Marseillaise, ressortir des drapeaux, se rassembler sur des places, contribuer à des collectes de fonds, etc.). 

Et dans ces situations et moments là, statuts sociaux, différences idéologiques, culturelles, professionnelles, ou même cultuelles cessent, pour un temps, d’être un critère de différenciation, un objet de clivage, de séparation ou d'exclusion. Nous éprouvons et exprimons alors le besoin de nous recentrer sur notre base commune racine, comme source de rassemblement et de ressourcement : notre appartenance à l’espèce humaine. La tribu humaine est la première tribu à laquelle nous appartenons. Et quelle que soit notre capacité à prendre consciemment cette donnée en compte, que cela nous heurte ou non si nous préférons nous attacher à des différences plus culturelles, nous partageons tous, par définition, des caractéristiques humaines cérébrales communes qui nous relient, en amont même de tout autre attribut (y compris appartenance nationale) et de toutes croyances. Et c’est souvent en contexte extrême (guerre, catastrophe, camps de concentration…) que nous en retrouvons le sens, l’importance et le recours.

Bien qu’élément naturel, le lien humain demande pourtant à être entretenu

La cohésion et le rassemblement sont donc, originellement, nos meilleurs « outil » de survie. Et d’instinct, ils le redeviennent dans les cas d’événements majeurs mettant en danger la survie collective.

Les neurones miroirs (également appelés « neurones de l’empathie ») sont la base biologique de la coopération et du lien humain. Et si cette capacité collaborative est ancrée dans notre génome (d'autres espèces animales ont également une capacité d'empathie), et qu’elle se manifeste dès la toute petite enfance, elle demande néanmoins à être développée par l’éducation familiale, sociale et les encouragements à se manifester. Notre culture, ou le système scolaire sont-il conçus dans ce sens ? Pas sûr. Globalement l'on peut penser que oui (bien qu'il y ait autant de types d'éducation que de familles) mais les contextes de crises durables, de climat social anxiogène entretenu en permanence peuvent activer les deux pôles de réponses, l'un faisant plus de bruit que l'autre, ainsi qu'on peut le constater actuellement: empathie pour certaines personnes ou groupes, clivages et replis communautaires ou individualistes pour d'autres. Les tentations de repli et de rejet s'expriment en général plus bruyamment.
Quant au système scolaire : les notations sont pratiquement toujours individuelles, et la valorisation de la réussite individuelle semble plus importante que la valorisation de la réussite de groupe, etc.

Ainsi, au quotidien, il semble que nous ayons quelques difficultés à maintenir dans les sociétés dites "modernes" la cohésion, la solidarité, la bienveillance vis-à-vis des autres. Parce que cohabitent en chacun de nous, la protection et l'intérêt individuels, eux aussi instinctifs, plus immédiats, aux côtés de la propension au collectif et au besoin des autres. L’arbitrage, dans le cerveau humain, se fait entre la recherche d’un avantage immédiat du quotidien ou de court terme (ma condition individuelle : réussite, gain, intérêt, protection…) et la possibilité d’un avantage à plus long terme, souvent lié à un effort de coopération avec le collectif, et parfois perçu comme une prise de risque. Et même si cet avantage lié à une vision collective est souvent supérieur à terme, il n’est pas toujours imaginé / projeté comme tel, ou semble trop lointain. 

L’autre humain est donc à la fois la ressource, et le danger parfois. Philosophiquement, globalement, moralement, puis dans l’expérience d’une crise majeure, immédiate et de courte ou moyenne durée, l’autre est la ressource collective. Mais au quotidien, « l’autre » (mon voisin, mon collègue de bureau, celui qui n’a pas la même préférence sexuelle, la même origine sociale, ou culturelle, celui qui pratique un art inattendu, qui pense différemment, bref, le « différent de moi », le "bizarre") peut être perçu comme un danger. Alors, s'il n'y a pas d'effort de prise de recul, d'introduction de nuance et de complexité, l'on demeure sur un réflexe d’autoprotection, de repli sur soi et de différentes formes d’exclusion de l’autre. Sans effort de réflexion, d'ouverture et d'auto questionnement, l'on demeure sur un processus de réaction, rapide et binaire (j'intègre ou je rejette l'autre). Si, de plus, on repère une "tribu" qui semble avoir les mêmes types de réactions immédiates de rejet, on peut alors se sentir légitime et laisser libre court à cette non-pensée qui est en fait l'expression des émotions de peur et de colère.


Et si les moments de crise et de danger collectif favorisent et déclenchent notre propension à nous rassembler, ils ne sont pas les seuls leviers du collectif et du rassemblement humain. Les expériences positives, les projets constructifs, les causes humanistes fédèrent eux aussi les énergies et les liens sociaux. Combien d’associations, de fondations, de groupes et autres collectifs œuvrent régulièrement, durablement, souvent dans l’ombre, pour des causes nobles. Nombre de projets, d’innovations sociales et d’actions sociétales enrichissent notre quotidien, sans être jamais cités dans les grands medias.  Et toutes ces actions et ces projets reposent sur des humains, des bonnes volontés, expression qui a donné "bénévolat". Des gens qui investissent tour à tour ou à la fois du temps, de l'énergie, de l'enthousiasme, de la conviction, de la compétence et de l'argent. 

Notre survie a été assurée, dans l'histoire de l'Homme, par notre capacité à nous fédérer, à nouer des liens et des solidarités. Notre avenir commun dépend toujours de cette capacité que nous devons entretenir, sous peine de disparaître. Mais cette capacité ne s'arrête pas à l'être humain. Nous devons réapprendre à collaborer au sein de notre propre espèce, certes, mais également avec les autres espèces et l'ensemble du vivant de la planète. Vœux pieux ? Ou bien une question de temps. Un temps précieux il est vrai, car notre capacité à détruire (et à nous détruire) est colossale. Mais des prises de consciences s'opèrent et des actions se structurent un peu partout dans le monde, tant au niveau micro social qu'au niveau macro social. Il suffit de voir le film "Demain" pour le constater. Une formidable bouffée d'oxygène qui nourrit un espoir réaliste car basé sur des faits, des actions opérationnelles dans de nombreux domaines sociétaux et de nombreux pays.

Pour conclure (provisoirement bien sûr !) rappelons simplement la célèbre phrase de Martin Luther King : 
 
 « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »