mercredi 16 janvier 2013

La résistance au changement : elle fait partie du mécanisme d'adaptation



« Rien n’est permanent, sauf le changement » - Héraclite
Le changement est effectivement un processus constant qui concerne tous les êtres vivants. Modifications mineures ou grands bouleversements, nous vivons des évolutions permanentes, et nous sommes totalement inconscients d’une grande partie d’entre elles. D’autres mutations provoquent au contraire contournements, luttes ou crispations, que l’on appelle des résistances. Pour autant, tout être vivant, même le plus simple, est largement plus compétent qu'une machine, car il sait opérer seul les changements nécessaires pour s'adapter à son environnement.

 La résistance : un processus de défense biologique  

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Lorsque les changements sont perceptibles, notamment dans l’entreprise, il est fréquent d’entendre parler de « résistance ». Ceux qui souhaitent un changement, quel qu’il soit, se représentent celui-ci comme une évolution positive et s’agacent parfois des comportements freinants de ceux qui ont une perception différente.

Pourtant, il faut comprendre que cette résistance est parfaitement naturelle et porte un nom : l’homéostasie (combinaison de mots grecs signifiant « rester constant »). Elle est le mécanisme de protection de tous les êtres vivants envers une modification de l’environnement. L’homéostasie est la capacité d’un organisme à maintenir une stabilité relative, un équilibre de fonctionnement face aux contraintes et stimuli. En vérité, cette compétence est essentielle à tout organisme pour rester en vie. Au sens physiologique du terme, l’homéostasie est ce qui permet par exemple à notre corps de conserver une température interne relativement stable en permanence, ou encore de développer des phénomènes de rétroaction face à une agression virale ou microbienne : montée de fièvre, transpiration, expectoration, anticorps…

« L’ensemble des processus homéostatiques gouverne à tout instant chaque cellule de notre corps. Ce pouvoir s’exerce selon un dispositif simple : premièrement, quelque chose change dans l’environnement d’un organisme individuel, de façon interne ou externe. Deuxièmement, ce changement a le potentiel d’altérer le cours de la vie de l’organisme (il peut constituer une menace pour son intégrité ou bien une occasion de mieux-être). Troisièmement, l’organisme détecte le changement et agit en fonction de lui d’une façon conçue pour créer la situation la plus bénéfique à sa préservation et à son fonctionnement efficient. Toutes les réactions se produisent selon ce dispositif et représentent ainsi des moyens d’apprécier les circonstances internes et externes dans lesquelles se trouve un organisme, et d’agir conformément à elles ».1
 
Ainsi, le type de réaction homéostatique déclenchée est fonction de l’interprétation qui est faite d’une situation. C’est cette interprétation qui permet à l’organisme de mettre en œuvre la meilleure réponse possible, selon qu’il se représente le changement comme une menace pour son intégrité ou une opportunité d’améliorer son bien-être. 

La notion d’homéostasie est une grille de lecture fondamentale dans la compréhension des comportements de tous les systèmes humains. Elle est très utile en entreprise. En effet la réaction homéostatique régit non seulement les fonctionnements physiologiques, mais également psychologiques et émotionnels. Elle concerne les individus comme les groupes : ex. la résistance qui s’organise durant la 2ème guerre mondiale ; les mouvements de protestation face aux perspectives d’une construction d’autoroute ou de ligne de TGV, face à un projet de loi ; les mouvements régionalistes ; les grèves ; les stratégies de défense d’une entreprise lors d’une OPA, d’une attaque de hackers ; adaptation aux évolutions d’un marché ; la lutte puis la transformation de Lejaby récemment ... Les exemples fourmillent à chaque instant dans nos vies, car les règles et conventions (sociales, culturelles ou professionnelles) sont « des extensions des dispositifs homéostatiques »1 destinées à préserver un équilibre. Le sont aussi les habitudes, les « on a toujours fait comme ça », les fonctionnements bien rôdés, voire ritualisés. Autant de processus souvent tout à fait nécessaires et très utiles mais qu’il est parfois indispensable de questionner malgré nos réticences, dès lors que des modifications apparaissent dans l'environnement interne/externe, justement pour envisager peut-être d’autres réponses de survie et de progrès.

Anticiper et s’adapter demandent une modification du paradigme de l’équilibre... et un processus de résilience

Dans un monde qui nous bouscule par son instabilité, ses mutations accélérées, ses crises et les incertitudes induites, il est normal  que les stratégies homéostatiques individuelles et collectives s’activent et souvent s’opposent, selon la représentation de l’équilibre dans laquelle on se situe.  Par exemple, le tout récent accord du 11 Janvier entre partenaires sociaux : la négociation portait sur les objectifs homéostatiques de deux groupes différents : patronaux et salariaux. Face à la crise et à la compétition mondiale, l’un envisageait son équilibre par un assouplissement de certaines règles du code du travail, l’autre se représentant au contraire son propre équilibre par un renforcement de ces règles. Deux perceptions d’une même menace (crise et globalisation), mais deux représentations différentes des adaptations à trouver. Pour autant, face à cette menace, des voix patronales ont, elles aussi, la même demande de renforcement réglementaire, cette fois-ci sur les marchés internationaux, en réclamant des barrières protectionnistes. Ainsi, les types de réponses homéostatiques diffèrent ou convergent selon l’échelle et le cadre de représentation. 

 Ce qui est paradoxal dans le phénomène homéostatique, c’est qu’il  freine le changement en tentant de maintenir l’existant  par des stratégies de défense, mais qu’il est lui-même aussi, par essence, un processus de changement. C’est lui qui permet en effet au système d’opérer les modifications internes nécessaires pour s’adapter (reprenons l’exemple de la montée de température de notre corps pour lutter contre un virus). Il joue son rôle de garant de la survie lorsqu’il apporte la meilleure des stratégies, car les systèmes qui ne peuvent ou ne savent s’adapter meurent à plus ou moins long terme. Lorsque la stratégie de défense homéostatique d’un système est uniquement le repli (l’immobilisme) elle s’avère généralement mortifère. Dans le paysage économique, les exemples de disparition totale ou partielle sont malheureusement nombreux, qu’il s’agisse de pans entiers de l’économie (l’industrie de la soie), de métiers (chapeliers, quincaillers,…) de produits ou services (le Minitel) ou encore d’entreprises spécifiques (Kodak, Virgin France dans l’actualité).

Si la réaction homéostatique est tout à fait naturelle et inévitable, elle active néanmoins des automatismes qui du coup n’offrent pas toujours la meilleure réponse pour la survie du système. Il faut donc se donner les moyens d’aller au-delà de la seule homéostasie. Qu’il s’agisse d’une personne ou d’une entreprise, toute l’alchimie d’une adaptation réussie dépend d’un ensemble d’éléments à construire par un effort de recul faisant appel à notre cortex préfrontal, individuel et collectif.  

       Dans un processus agile, le cycle adaptatif est le suivant :
  •    Percevoir / anticiper un changement dans l’environnement (ce n’est pas toujours une évidence).
  •    En détecter et reconnaître les répercussions présentes ou futures sur l’équilibre du système (cela demande une vraie réflexion prospective).
  •  Vivre toutes les étapes de stress et de deuil d’une situation disparue ou en voie de l’être (phases homéostatiques) en évitant de s’appesantir sur chacune d’entre elles.
  • Parvenir à l’ultime étape du deuil : l’acceptation, la réparation (ce que Boris Cyrulnik nomme la résilience)
  •  Modifier le paradigme, la représentation que le système a de son équilibre : imaginer, visualiser, verbaliser, construire ce que pourra être le nouvel équilibre.
  •  Alors peuvent se mettre en œuvre des actions d’adaptation afin de transformer le système, pour faire d’une menace perçue une opportunité ou de saisir et développer à coup sûr une chance qui s’offre.
La durée totale de chaque palier est très variable, selon l’intensité du changement auquel s’adapter, la profondeur identitaire des homéostasies à faire évoluer et le niveau de culture d’adaptation du système plus ou moins développée.

Face aux grands défis du monde en mutation, nos économies occidentales oscillent entre deux options possibles :
  •  Une adaptation par rétroaction homéostatique (maintenance de secteurs économiques voués à disparaître, repli sur des schémas protectionnistes de toutes natures, rétrécissement du modèle social…). Le recours à ce type d’adaptation est plus automatique parce que simple à penser. Il fait appel, dans notre cerveau, à notre seul système de « reconnaissance de formes » c’est-à-dire à des mécanismes et solutions déjà connus, à des référents économiques et idéologiques fortement ancrés.
  •  Une adaptation par l’innovation (remise en cause en profondeur des modèles existants et des modes de pensée, élaboration de scénarios, coopétition, recherche de solutions inédites dans tous les domaines : types de production, cibles, innovation sociale, collaborative, managériale, …). Ce type d’adaptation est moins facile à mettre en œuvre (mais tout à fait possible) parce qu’il demande davantage d’efforts de créativité, d’ouverture/acceptation de l’inconnu, de remise en question des croyances les plus fortes, de prise de risques.
 Bâtir sur un terrain mouvant demande sans doute de renoncer aux fondations classiques, inopérantes dans ce contexte, voire aux fondations tout court ? De trouver d’autres modes de construction ? D’autres matériaux ? Ou même d’autres formes d’habitât ? Bien sûr, il ne s’agit là que d’une métaphore.

1Antonio Damasio, neurobiologiste - « Spinoza avait raison : joie et tristesse, le cerveau des émotions ». 

2 commentaires:

  1. Merci Sandrine pour cet article fascinant !

    J'ai eu récemment l'occasion de me "frotter" à la résistance au changement lors de ma précédente mission.
    Vos compétences m'auraient été utiles dans certaines situations...

    Bien Cordialement,
    Véronique TRUPIANO
    Conseil en techniques de l'export

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  2. Article très intéressant. Pour information, chaque fois que je me suis retrouvée en fin de contrat, je suis passée par le cycle adaptatif que vous décrivez au plan individuel. Puis, le cycle recommence quand j'entame un autre contrat: stress, doute, acception, retrouver un équilibre et mettre en place de nouvelles relations professionnelles avec mes nouveaux collègues et enfin projection de soi à long terme sur le lieu de travail, ou ailleurs, en fonction de la durée du contrat. Au fil des contrats, j'ai appris à reconnaître les étapes et à ne pas paniquer en période de doute. S'adapter à ce changement permanent me demande beaucoup d'énergie que je pourrais sans doute utiliser à des fins plus utiles et plus généreuses au plan systémique, mais c'est là un autre débat qui ne semble peu de monde à l'heure actuelle. Nous sommes nombreux à vivre ces cycles de souffrances répétées chacun dans notre coin et toutes ces marasmes individuels qui nous conduisent au repli sur soi doivent également influer sur le manque de dynamisme global au plan économique. J'apprécie tout particulièrement l'expression "manager humaniste" et je serai ravie d'en rencontrer un quand l'occasion m'en sera enfin donnée. N'hésitez pas à consulter un petit article qui vient sans doute s'inscrire dans les mécanismes de résistance que vous décrivez si bien: http://reseau.nouvelledonne.fr/profiles/blogs/l-re-des-tics-sic
    Bonne continuation dans vos travaux et musique Maestro!

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