samedi 7 juin 2014

L'empathie, enracinée dans notre humanité et notre biologie, une solution aux crises ?



Ancrée dans notre biologie, très ancienne dans notre évolution, l’empathie est profondément enracinée dans notre humanité qu’elle contribue à faire grandir. Source de développement des civilisations humaines pour certains, elle n’est pourtant pas l’apanage de notre espèce puisqu’elle est partagée, sur certains aspects, par les autres mammifères.

L’empathie, une idée révolutionnaire

Le terme même d’« empathie » est apparu au début du 20ème siècle, et la notion associée fait, depuis les années 70, l’objet de recherches à part entière. Aujourd’hui, psychologues, éthologues, philosophes, et surtout neuroscientifiques, démontrent que l’empathie a été un facteur clé de survie et d’évolution dans l'histoire humaine.

Du grec « pathos », souffrance, l’empathie est la faculté d’une personne à ressentir et comprendre l’état émotionnel d’une autre personne ou d’un groupe.

L’empathie active la résonance émotionnelle d’une personne avec les pensées, sentiments et intentions d’une autre, tout en maintenant la conscience cognitive que la sensation ressentie est générée par l’état d’autrui. Elle permet ainsi d’activer la réponse affective appropriée.

Il faut comprendre que l’idée même d’empathie comme phénomène non seulement naturel, inné, mais encore facteur de survie, de sélection et d’évolution est proprement révolutionnaire dans la pensée collective. En effet, les sociétés occidentales ont construit leurs modèles économiques et parfois sociaux sur les théories philosophiques et économiques d’un Homme rationnel et égoïste : homo economicus. Bien que ces théories soient anciennes et très largement démenties par les avancées neuroscientifiques, sociologiques, psychologiques, aujourd’hui encore, elles trouvent encore écho chez nombre de nos contemporains.

  • 1596 – 1650 : Descartes affirme que la raison doit primer sur l’émotion et la maîtriser. Ce qui serait possible selon lui car le corps et l’esprit seraient deux entités différenciées. On sait aujourd’hui grâce aux neurosciences et aux travaux d’Antonio Damasio combien émotions et raison fonctionnent en pleine collaboration, déterminant ensemble les prises de décisions des plus simples aux plus complexes.
  • 1588 – 1679 : Hobbes avance que l’Homme est un être inévitablement égoïste dans sa lutte pour survivre (l’Homme est un loup pour l’Homme).
  • 1723 – 1790 : Adam Smith défend l’idée que ce sont la compétition et l’individualisme qui produisent une économie et une société performantes et saines.
  • 1806 – 1873 : Stuart Mill assure que la compétition existe nécessairement, parce que chacun s’attend à ce que l’autre, les autres se positionnent en compétiteurs individualistes, ce qui motive et justifie d’agir à son tour de la même manière.

Mais concrètement, comment fonctionne l’empathie ?
Il faut comprendre qu’elle est un processus de communication dont une partie est automatique, inconsciente, alors qu’une autre partie est au contraire consciente, et que ce processus met en œuvre :

- Une connexion émotionnelle (corporelle) avec autrui

- La compréhension / l’imagination de la situation

- La conscience de cette perméabilité aux ressentis d’autrui

- La conscience que l’on ne souffre pas soi-même

- La réponse appropriée à l’émotion

   Le mécanisme de connexion émotionnelle à autrui sollicite des zones sous-corticales et temporales du cerveau. La compréhension et la capacité de réponse appropriée, opérations mentales plus complexes, animent respectivement des zones préfrontales, puis orbitaires et cingulaires.

Si l’on prend l’exemple de la douleur : la vision de la souffrance d’une personne active en miroir chez l’observateur les aires cérébrales de la douleur. C’est un phénomène automatique de résonance motrice qui est en place dès la naissance de l’individu, et qui se produit même dans les situations de fiction : voir un personnage en détresse dans un film peut aisément provoquer une résonance émotionnelle chez le spectateur. L’aptitude empathique apparaît dès les premiers jours de la vie chez le bébé humain, comme chez d’autres mammifères (singes rhésus et chimpanzés par exemple).

 L’empathie est liée à l’expression et au décodage des émotions, lui-même généré par l’action des neurones miroirs1 permettant le mimétisme. C’est ce que Jean-Michel Oughourlian appelle « le troisième cerveau », ou cerveau relationnel et mimétique.

D’où l’importance de pouvoir comprendre l’expression émotionnelle, puis de pouvoir répondre, réguler et exprimer de manière adaptée. Cette connexion émotionnelle immédiate est fondamentale pour savoir détecter les intentions d’autrui et développer des interactions sociales positives, collaboratives. Par exemple, les soins parentaux permettent d’assurer la continuité de l’espèce et transmission des gènes.

Pour cela, il est essentiel de détecter et interpréter chez les petits les expressions de faim, peur, douleur, afin de pouvoir y répondre favorablement. Cette capacité d'abord réservée aux femelles s'est ensuite propagée à l'ensemble des individus des espèces concernées, par un phénomène de sélection. 

Ainsi, le processus empathique est un échange d’informations : une émission de signaux émotionnels et une attente en retour de comportements précis Tout un système de communication sophistiqué permettant la régulation biologique et sociale.

Il convient d’ajouter que le phénomène empathique est amplifié lorsque les individus appartiennent à un même groupe social ou se reconnaissent dans une proximité relationnelle. Il est également modulé selon les jugements moraux que l’on porte sur autrui.

Altruisme et empathie : essentiels à la survie, facteurs d’évolution et de développement social.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser et à ce qu’affirmait la pensée économique des 17ème et 18ème siècles, les comportements altruistes sont une aptitude naturelle et instinctive, préprogrammée chez les espèces sociales. Ajoutons par ailleurs que chez l’humain les comportements altruistes activent parfois les circuits physiologiques et neuronaux de la récompense, mais pas systématiquement. Ce qui permet aux scientifiques d’affirmer qu’il existe un altruisme totalement dénué d’intérêt personnel.
Ajoutons que l'observation des autres espèces animales met en évidence la progression de l'aptitude empathique au cours de l'évolution.


Ainsi, la coopération et l’empathie constituent ce que l’on appelle « un avantage adaptatif » tout aussi déterminant pour la survie que la compétition, dans la mesure où elles maintiennent l’équilibre homéostatique individuel et collectif. En effet, la sensibilité à l’émotion des autres génère une inhibition des comportements agressifs, un arrêt des actions contribuant à la détresse d’autrui, et favorise l’adoption de comportements prosociaux d’apaisement, de protection, d’entraide et d’instauration d’un bien-être. C’est ce qui a permis que l’empathie soit sélectionnée dans l’évolution et soit un facteur de survie déterminant pour l’espère humaine. Concrètement, il était plus sûr et plus efficace pour l’Homme de chasser et d’habiter en groupe que seul.


Nombre d’expériences menées par les scientifiques depuis une vingtaine d’années montrent que cette compétence est partagée par les espèces sociales : les humains, mais aussi les singes, les éléphants, les dauphins, les chiens, les rongeurs (l’ensemble des mammifères en fait), certaines espèces d’oiseaux…


Il est néanmoins des particularités de l’empathie propres aux humains : la conscience des émotions, des relations aux autres. Dans les sociétés humaines l’empathie est, de plus, à la base des constructions morales.

Autre spécificité de l’empathie telle qu’elle s’exprime et se renforce chez les humains : l’apport du langage parlé. Il agit comme un amplificateur de l’aptitude empathique et des bénéfices associés. La mélodie du langage est en elle-même un indicateur de l’état émotionnel de celui qui parle. Les mots quant à eux permettent de préciser cet état (parfois de le déclencher) de l’amplifier ou de l’apaiser, de lui donner du sens…

Aujourd’hui plus que jamais, on peut percevoir l’empathie, l’altruisme et la solidarité comme des solutions aux différentes crises économiques et sociales. Il n’est que de constater les recours à la famille dans les pays très touchés tels que l’Espagne ou la Grèce.  Plus largement, les travaux de l’essayiste Jeremy Rifkin proposent une analyse et des solutions pour le monde en mutation et en crise, basées sur une nouvelle conscience empathique.

Ainsi, malgré (ou plutôt en raison de) la période troublée que nous traversons, et à l’inverse des théories issues d’un darwinisme dévoyé, ou de certaines affirmations économistes ou politiques, il est essentiel de rappeler que nous ne pouvons survivre, biologiquement et psychologiquement, que parce que nous interagissons et coopérons avec les autres. Nous fêtons actuellement les 70 ans du débarquement allié. 
Jeremy Rifkin
Au-delà des décisions stratégiques et guerrières de l’époque, de l’obéissance aveugle aux ordres, ne fallait-il pas courage et solidarité empathique à celui qui au final sautait et risquait sa vie pour venir en aide à des français inconnus ? De même à ceux et celles qui, mettant leur propre survie en danger, abritaient et aidaient des persécutés, juifs et autres opprimés ? Citons encore l’immense élan empathique et solidaire qui s’enclenche et s’active lors de grandes catastrophes : tsunami, ouragan Katrina, tremblement de terre haïtien…

En ces temps d’incertitude, de crises économiques, sociales, sociétales, de peurs individuelles et collectives, de tentations de repli sur soi, de cupidité, ce principe fondamental ne devrait-il pas être davantage rappelé, développé et mis à l’honneur ? Placardé sur les murs des villes ? Claironné sur tous les canaux médiatiques en remplacement des leviers de dramaturgie ? Enseigné dans toutes les écoles, de la maternelle à HEC ou à l’ENA ? Intégré dans les stratégies des entreprises et les pratiques managériales ?


1 : Neurones miroirs découverts dans les années 90 par Giacomo Rizzolatti, de l’Université de Palerme
A Damasio : « L’erreur de Descartes »
F. de Waal : « L’âge de l’empathie »
J.M. Oughourlian : « Notre troisième cerveau »
J. Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise »
M. Ricard : « Plaidoyer pour l’altruisme »
 

 

7 commentaires:

  1. Bonjour, les récents travaux de Mathieu Ricard démontrent que l’excès d'empathie peut entraîner un burn out dans les métiers de soin; Il préconise la compassion que l'entrainement à la méditation permet d 'atteindre .... à suivre
    www.ageqi.fr

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  2. Absolument. Les métiers de soignants sont particulièrement exposés à un "excès" d'empathie, qui alors peut s'avérer épuisant. La compassion quant à elle n'implique pas de partager le ressenti du souffrant, mais s'applique à aider/faciliter une énergie positive et une recherche de solutions.

    Merci à vous pour ce commentaire.

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  3. Très bon article qui a stimulé les deux pôles de mon empathie... et incité à "développer des interactions sociales positives, collaboratives" : je l'ai mis en lien dans un article que je viens de publier et qui parle du livre "On Kindness" - "N'ayons pas honte d'être gentils"- du psychanalyste Adam Phillips et de l’historienne Barbara Taylor paru en 2009.

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    1. Merci beaucoup Eric pour votre intérêt et votre relais. Au plaisir de prochain échanges, je l'espère. Bonne journée à vous.

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  4. "D’où l’importance de pouvoir comprendre l’expression émotionnelle, puis de pouvoir répondre, réguler et exprimer de manière adaptée. Cette connexion émotionnelle immédiate est fondamentale pour savoir détecter les intentions d’autrui et développer des interactions sociales positives, collaboratives. Par exemple, les soins parentaux permettent d’assurer la continuité de l’espèce et transmission des gènes".- Lançons le débat : Et si l'empathie était une "qualité" essentielle à développer en matière de gestion des ressources humaines ? voir dans le cadre de la prévention des risques au travail ? Une utopie ou pas ?...j'aimerais croire que demain l'empathie fera partie des qualités incontournables pour les managers...plus qu'une stratégie...une manière de vivre la relation à autrui...et je suis entièrement d'accord qu'il est grand temps de ré apprendre le partage, le respect et l'écoute de l'autre, de la maternelle à l'ENA.... parce que pour ressentir il faut partager, respecter, écouter les autres et se sortir de cette Politique "de la peur des autres"...

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  5. L'utopie d'aujourd'hui pourrait peut-être, demain, s'appeler "l'histoire". J'y crois, tout comme vous, et il me semble sentir frémir de plus en plus cette envie de plus de gentillesse et de bienveillance partout dans la société, y compris dans les entreprises. C'est bon signe ! :-)

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  6. Cette Théorie sur l'Empathie, je me demandes si c'est une "vérité" scientifique ou c'est une bonne "Théorie" pour faire face aux conséquences de la crise économique ?

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