- 1806 – 1873 :
Stuart Mill assure que la compétition existe nécessairement, parce que
chacun s’attend à ce que l’autre, les autres se positionnent en compétiteurs
individualistes, ce qui motive et justifie d’agir à son tour de la même
manière.
Mais concrètement, comment fonctionne l’empathie ?
Il faut
comprendre qu’elle est un processus de communication dont une partie est
automatique, inconsciente, alors qu’une autre partie est au contraire
consciente, et que ce processus met en œuvre :
- Une
connexion émotionnelle (corporelle) avec autrui
- La
compréhension / l’imagination de la situation
- La
conscience de cette perméabilité aux ressentis d’autrui
- La
conscience que l’on ne souffre pas soi-même
- La réponse
appropriée à l’émotion
Le mécanisme
de connexion émotionnelle à autrui sollicite des zones sous-corticales et
temporales du cerveau. La compréhension et la capacité de réponse appropriée,
opérations mentales plus complexes, animent respectivement des zones
préfrontales, puis orbitaires et cingulaires.
Si l’on
prend l’exemple de la douleur : la vision de la souffrance d’une personne
active en miroir chez l’observateur les aires cérébrales de la douleur. C’est
un phénomène
automatique de résonance motrice
qui est en place dès la naissance de l’individu, et qui se produit même dans les
situations de fiction : voir
un personnage en détresse dans un film peut aisément provoquer une résonance
émotionnelle chez le spectateur. L’aptitude empathique apparaît dès les
premiers jours de la vie chez le bébé humain, comme chez d’autres mammifères (singes rhésus et chimpanzés par exemple).
L’empathie
est liée à l’expression et au décodage des émotions, lui-même généré par l’action
des neurones miroirs1 permettant le mimétisme. C’est ce que
Jean-Michel Oughourlian appelle « le
troisième cerveau », ou cerveau relationnel et mimétique.
D’où
l’importance de pouvoir comprendre l’expression émotionnelle, puis de pouvoir
répondre, réguler et exprimer de manière adaptée. Cette connexion émotionnelle
immédiate est fondamentale pour savoir détecter les intentions d’autrui et développer des interactions sociales
positives, collaboratives. Par exemple,
les soins parentaux permettent d’assurer la continuité de l’espèce et
transmission des gènes.
Pour cela,
il est essentiel de détecter et interpréter chez les petits les expressions de
faim, peur, douleur, afin de pouvoir y répondre favorablement. Cette capacité
d'abord réservée aux femelles s'est ensuite propagée à l'ensemble des individus
des espèces concernées, par un phénomène de sélection.
Ainsi, le processus empathique est un échange
d’informations : une émission de signaux émotionnels et une attente en
retour de comportements précis Tout un
système de communication sophistiqué permettant la régulation biologique et
sociale.
Il convient
d’ajouter que le phénomène empathique est amplifié lorsque les individus
appartiennent à un même groupe social ou se reconnaissent dans une proximité
relationnelle. Il est également modulé selon les jugements moraux que l’on
porte sur autrui.
Altruisme et empathie :
essentiels à la survie, facteurs d’évolution et de développement social.
Contrairement
à ce que l’on pourrait penser et à ce qu’affirmait la pensée économique des 17ème
et 18ème siècles, les comportements altruistes sont une aptitude naturelle et instinctive,
préprogrammée chez les espèces sociales. Ajoutons par ailleurs que chez
l’humain les comportements altruistes activent parfois les circuits
physiologiques et neuronaux de la récompense, mais pas systématiquement. Ce qui
permet aux scientifiques d’affirmer qu’il existe un altruisme totalement dénué
d’intérêt personnel.
Ajoutons que l'observation des autres espèces animales met en évidence la progression de l'aptitude empathique au cours de l'évolution.
Ainsi, la
coopération et l’empathie constituent ce que l’on appelle « un
avantage adaptatif » tout
aussi déterminant pour la survie que la compétition, dans la mesure où elles
maintiennent l’équilibre homéostatique individuel et collectif. En effet, la
sensibilité à l’émotion des autres génère une inhibition des comportements
agressifs, un arrêt des actions contribuant à la détresse d’autrui, et favorise
l’adoption de comportements
prosociaux d’apaisement, de
protection, d’entraide et d’instauration d’un bien-être. C’est ce qui a permis
que l’empathie soit sélectionnée dans l’évolution et soit un facteur de survie
déterminant pour l’espère humaine. Concrètement, il était plus sûr et plus efficace
pour l’Homme de chasser et d’habiter en groupe que seul.
Nombre
d’expériences menées par les scientifiques depuis une vingtaine d’années
montrent que cette compétence est partagée par les espèces sociales : les humains,
mais aussi les singes, les éléphants, les dauphins, les chiens, les rongeurs
(l’ensemble des mammifères en fait), certaines espèces d’oiseaux…
Il est
néanmoins des particularités de l’empathie propres aux humains : la conscience
des émotions, des relations aux autres. Dans les sociétés humaines
l’empathie est, de plus, à la base des constructions morales.
Autre
spécificité de l’empathie telle qu’elle s’exprime et se renforce chez les
humains : l’apport
du langage parlé. Il agit comme
un amplificateur de l’aptitude empathique et des bénéfices associés. La mélodie
du langage est en elle-même un indicateur de l’état émotionnel de celui qui
parle. Les mots quant à eux permettent de préciser cet état (parfois de le
déclencher) de l’amplifier ou de l’apaiser, de lui donner du sens…
Aujourd’hui plus
que jamais, on peut percevoir l’empathie, l’altruisme et la solidarité comme
des solutions aux différentes crises économiques et sociales. Il n’est que de
constater les recours à la famille dans les pays très touchés tels que l’Espagne
ou la Grèce. Plus largement, les travaux
de l’essayiste Jeremy Rifkin proposent une analyse et des solutions pour le
monde en mutation et en crise, basées sur une nouvelle conscience empathique.
Ainsi, malgré
(ou plutôt en raison de) la période troublée que nous traversons, et à
l’inverse des théories issues d’un darwinisme dévoyé, ou de certaines affirmations
économistes ou politiques, il est essentiel de rappeler que nous ne pouvons
survivre, biologiquement et psychologiquement, que parce que nous interagissons
et coopérons avec les autres. Nous fêtons actuellement les 70 ans du
débarquement allié.
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Jeremy Rifkin |
Au-delà des décisions stratégiques et guerrières de l’époque,
de l’obéissance aveugle aux ordres, ne fallait-il pas courage et solidarité
empathique à celui qui au final sautait et risquait sa vie pour venir en aide à
des français inconnus ? De même à ceux et celles qui, mettant leur propre
survie en danger, abritaient et aidaient des persécutés, juifs et autres opprimés ?
Citons encore l’immense élan empathique et solidaire qui s’enclenche et s’active
lors de grandes catastrophes : tsunami, ouragan Katrina, tremblement de
terre haïtien…
En ces temps
d’incertitude, de crises économiques, sociales, sociétales, de peurs
individuelles et collectives, de tentations de repli sur soi, de cupidité, ce
principe fondamental ne devrait-il pas être davantage rappelé, développé et mis
à l’honneur ? Placardé sur les murs des villes ? Claironné sur tous
les canaux médiatiques en remplacement des leviers de dramaturgie ?
Enseigné dans toutes les écoles, de la maternelle à HEC ou à l’ENA ? Intégré
dans les stratégies des entreprises et les pratiques managériales ?
1 : Neurones miroirs découverts dans les
années 90 par Giacomo Rizzolatti, de l’Université de Palerme
A Damasio : « L’erreur de Descartes »
F. de Waal : « L’âge de l’empathie »
J.M. Oughourlian : « Notre troisième
cerveau »
J. Rifkin : « Une nouvelle
conscience pour un monde en crise »
M. Ricard : « Plaidoyer pour l’altruisme »