Dix-neuf communes de l'Hérault ont décidé d'octroyer une prime au "Présentéisme" aux agents qui font preuve d’une assiduité stable.
L'objectif est de réduire l'absentéisme important qui semble être un dysfonctionnement récurrent dans certaines collectivités, avec une « carotte » allant de 350 à 600 €.
En dehors de toute position idéologique ou politique (Profil-Leader ne défend jamais aucun parti ni étiquette, et par ailleurs, la mesure a été adoptée par des collectivités de tous bords), il est intéressant d'analyser avec l’œil professionnel de Profil-Leader cette solution qui vient d'être adoptée.
Si l’intention est sans nul doute positive, la solution nous semble être néanmoins une erreur managériale sur plusieurs plans :
Un mot à double sens :
En effet, le mot « Présentéisme », compris ici comme le contraire de l’absentéisme, signifie, en psychologie du travail « Faire acte de présence, sans avoir la productivité attendue ». Autrement dit, le collaborateur est présent sur le lieu de travail, certes, mais il n’assume pas réellement ou pas intégralement sa mission. Ainsi, donner une prime au présentéisme pourrait être interprété comme « il suffit donc d’être présent, pas forcément de travailler ».
Une action souvent contre-productive :
L’idée n’est pas neuve, loin s’en faut. Souvent testée dans d’autres organisations, notamment privées, elle aboutit à un fréquent effet pervers : elle officialise un système. La présence régulière et assidue au travail peut ainsi devenir une « option » que l’on choisit, ou pas. Les collaborateurs estiment tacitement avoir le droit de choisir de bénéficier ou non de la prime. Certains pourront alors décider de renoncer à cette prime et ne plus hésiter à s’absenter. A l’inverse, d’autres collaborateurs ayant réellement besoin d’un arrêt de travail mais comptant beaucoup sur la prime viendront travailler même très affaiblis et risquant un arrêt de travail plus sérieux.
Une solution de facilité qui contourne les vrais problèmes :
En réalité, cette option ne permet pas s’interroger sur les causes réelles de l’absentéisme. Celui-ci est pourtant le symptôme d’un dysfonctionnement. Il serait nécessaire de réfléchir sur l'évolution de l'organisation souffrant d'absentéisme :
· Remettre en question d’éventuelles pratiques managériales inappropriées qui conduisent à une démotivation.
· Faire évoluer une culture d’entreprise dépassée qui amène souvent à travailler, au sein des institutions, pour la hiérarchie et non pour le public.
· Travailler et accompagner les sources intrinsèques de la motivation humaine des collaborateurs. Se contenter d’activer un levier extrinsèque n’a toujours qu’une efficacité limitée dans le temps.
Pourtant, il est fréquent de conclure rapidement que l’absentéisme est dû au confort du statut de fonctionnaire. Cependant, bien des entreprises privées connaissent aussi le phénomène d’absentéisme alors même qu’elles disposent d’outils de motivation extrinsèques. Et par ailleurs, même si le statut de fonctionnaire peut amener parfois des abus, rappelons que tous les fonctionnaires ne sont pas les tires-aux-flancs que l’on se plaît parfois à caricaturer, mais que beaucoup assument leur mission avec compétence et dévouement au Service Public.
Dans le cas présent, il est à craindre que cette mesure de prime à la présence renforce l’image du fonctionnaire désinvolte, en faisant peser sur ses seules épaules la responsabilité de l’absentéisme, ce qui n’est pas tout à fait juste.
Lorsque l’indicateur « absentéisme » est en alerte, la pratique managériale mérite toujours d’être questionnée, même si l’agent ou le collaborateur qui recourt à l’absentéisme comme échappatoire a aussi sa part de choix à interroger. Notre expérience de travail avec les collectivités territoriales et de situations de management étonnantes que nous y rencontrons parfois nous amènent à engager chaque institution à se poser les questions suivantes :
· Quelle est la culture managériale de la collectivité ?
· Les directeurs, cadres, chefs de services sont-ils suffisamment formés ?
· Y-a-t-il une harmonisation des pratiques ?
· Des objectifs clairs et réalistes sont-ils posés aux collaborateurs ?
· Les actions demandées aux agents ont-elles du sens pour eux ? Sont-elles reliées à des missions cohérentes ?
· Les directeurs et chefs de services accompagnent-ils la montée en compétences des agents ?
· Pratiquent-ils une écoute des agents de terrain ?
· Favorisent-ils réellement l’autonomie des agents ? Et comment ?
· La formation est-elle encouragée ?
· Y-a-t-il une valorisation perçue par les agents de leur travail ?
· Des réunions sont-elles organisées régulièrement ? De façon cadrée et productive ? Avec un but précis et défini ?
· Existe-t-il une relation équilibrée entre les directeurs et l’équipe politique ?
· Les élus restent-ils à leur place d’élus ? Ou bien prennent-ils parfois la place des directeurs en donnant des consignes, contredisant même les orientations données par les directeurs ?
· …
Autant de questions qui, sans aucun doute, demandent de prendre du temps, et de se donner les moyens de l’accompagnement d'un changement. Car ce questionnement amène d’inévitables évolutions, avec leur cortège de résistances transitoires naturelles : « ça peut pas marcher chez nous » ; « on a déjà essayé tout un tas de choses, mais il n’y a rien à faire » ; « dans les collectivités, c’est spécial » ; « on ne peut pas changer la nature humaine »...
Ainsi les premiers à résister aux changements nécessaires sont-ils souvent les intéressés eux-mêmes : agents, responsables hiérarchiques, élus. Et dans les entreprises privées, les managers et dirigeants.
La première résistance au changement est le refus même du questionnement des pratiques, le recours à des solutions qui semblent vertueuses et efficaces mais qui laissent parfois un goût amer.
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