La reconnaissance : un
manque cruel ressenti en entreprise, privée ou publique. Un leitmotiv énoncé
régulièrement par les collaborateurs, presque crié dans certaines structures.
Un besoin vécu dans leur chair par certaines personnes qui l’expriment au travers
de maux divers. Mais pourquoi un tel déficit ? Parce que la reconnaissance
contribue à l’équilibre psycho physiologique et est au cœur des besoins et des moteurs
de l’humain, alors que l’on a longtemps cru qu’AVANT TOUT autre chose comptaient
les besoins matériels.
Une erreur de Maslow et Freud
Maslow nous a proposé dans les
années 40 un modèle hiérarchisant les sources de motivations humaines. Il affirmait
que la motivation primaire de l’humain est le besoin de se nourrir, les
relations affectives n’étant, pour lui comme pour Freud, que secondaires, au
service d’autres besoins (pour Freud : les pulsions libidinales).
L’outil, la Pyramide de Maslow, a
été élaboré à partir de cette représentation, ainsi que des croyances et connaissances
psycho cognitives dont on disposait à l’époque. Il est important de saluer cet
effort, car l’outil avait le mérite de vouloir structurer une réflexion sur le
sujet. Néanmoins, il est très étonnant de constater qu’aujourd’hui encore, beaucoup
de managers et autres professionnels continuent de se référer au modèle de
Maslow ou de Freud ! En effet les apports de ces 20 dernières années sur
le cerveau (neurosciences), la psychologie sociale, la sociologie permettent
d’éclairer d’une lumière plus précise et plus juste les moteurs de l’humain.
Ce que l’on peut conserver de
Maslow, c’est le besoin de survie comme déterminisme de tout système vivant.
L’erreur majeure fut de hiérarchiser les besoins, d’y apposer une chronologie,
et de positionner comme seule base de survie la physiologie comme étant séparée
de la psychologie. En effet, Maslow nous disait que notre premier besoin était de manger et boire pour survivre, et que
chaque autre besoin ne pouvait émerger qu’à la condition que le précédent soit
comblé.
Or, le corps et esprit sont un
tout cohérent, nous le savons aujourd’hui. Et s’il est évident que l’on va
mourir de faim et de soif si l’on n’est pas nourri, l’humain, même bien nourri,
peut mourir du manque de lien affectif. Les expériences hygiénistes des
orphelinats américains au début du 20ème siècle en ont apporté une
douloureuse preuve (voir l’encadré sur « la famine affective »).
Équilibres physiologique et
psychologique sont intra dépendants, et intra connectés, sans hiérarchie. Les
maux du corps expriment souvent les déséquilibres de nos moteurs psychologiques.
L’étymologie du langage reflète cette inter connexion par une racine
commune à trois mots : motum (mouvement) qui a donné motricité / moteur ;
émotion ; motivation. Motricité :
notre corps se meut. Emotion :
notre corps est mû. Motivation :
notre corps souhaite se mouvoir vers un objectif.
Pas de hiérarchie ni de
chronologie dans les besoins-moteurs humains, car plusieurs d’entre eux peuvent
être simultanément en creux (ou en plein) et parfois même être en opposition. Et
le curseur bouge en permanence au cours de notre vie.
L’humain : un animal extrêmement social,
biologiquement prédisposé aux liens
Pour plus de clarté,
partons de la base : l’humain
est un animal social. Hypersocial. Tellement social, que dans son
évolution, il a fait du groupe un élément de survie individuelle. L’Homme a
intégré que chasser, habiter, en groupe était plus efficace et sécure que l’action
solitaire. Pour cela, la capacité à développer des liens sociaux, empathiques
et collaboratifs serait un avantage majeur. Aussi la coopération fait-elle
peut-être davantage partie des moyens de survie que la compétition, malgré ce
que des courants de pensée économiques, politiques ou philosophiques nous ont
livré durant des décennies. Preuve en est : les grandes catastrophes,
naturelles ou non, qui mobilisent toujours spontanément de grands élans de
solidarité, d’entre-aide et de compassion vis-à-vis des personnes touchées.
L’hyper sociabilité de l’humain se
caractérise par la notion de groupe et d’appartenance. Dans nos cultures, le
premier groupe est, normalement, la famille (ce concept n’a pas forcément la
même forme partout) qui démarre par l’attachement à la personne ayant la
fonction maternelle. C’est la première tribu qui nous accueille et nous…
reconnaît.
La reconnaissance passe donc
avant tout par un lien d’empathie : écoute/reconnaissance des émotions et
expressions de l’autre humain pour acceptation dans un cercle.
Cette notion d’appartenance au
moyen de la reconnaissance empathique est fondamentale pour l’animal humain. L’intégration
dans cette première tribu parentale et familiale peut déterminer la
manière dont la personne sera en relation avec les autres durant sa vie
d’adulte, dans tous les groupes dans lesquels elle aura à s’intégrer :
tant dans le cadre des relations amicales, qu’amoureuses et professionnelles. Lorsqu’il
y a un déficit de reconnaissance exprimée à un individu dans la tribu
familiale, le manque ressenti peut se transformer en déséquilibre qui imprimera
la vie, les choix, les comportements et relations de l’adulte.
La condition d’appartenance au
groupe, quel que soit le groupe, est donc la reconnaissance mutuelle de ses membres.
Il est difficile de se sentir « appartenir » et de trouver sa place
dans un groupe qui ne vous reconnaît pas comme membre.
Il est à présent plus aisé de
comprendre pourquoi le manque de reconnaissance perçu peut créer des troubles
importants avec un groupe auquel on est supposé appartenir. L’entreprise est un
groupe essentiel dans lequel doit s’installer une reconnaissance mutuelle. Or
en entreprise, on se trouve à la jonction de plusieurs éléments : le
besoin/moteur caractérisant la base sociale de l’humain, le besoin/moteur
spécifique de la personne (fonction de son histoire et son vécu personnel), la
culture de l’entreprise et des individus.
La reconnaissance : bénéfique pour celui qui est
reconnu comme pour celui qui est reconnaissant
La reconnaissance a une réalité
physiologique exprimée dans notre cerveau : elle active les circuits
neurologiques
de la récompense : noyau accumbens, dopamine. Elle génère également la
production d’ocytocine (cf. les travaux du neurobiologiste Paul Zak), l’hormone
de la confiance et de la cohésion sociale. Or le système de récompense est à la
base des mécanismes de nos motivations, indispensable à la survie. La
reconnaissance fait ainsi partie des éléments aussi essentiels à la survie que
la nourriture. Elle est, en amont, ce qui va déclencher la motivation à se
nourrir (cf. l’encadré sur « La famine affective »). A l’inverse, l’humain
est capable de mettre sa vie en danger et aller jusqu’aux extrêmes lorsque le
déficit de reconnaissance perçue est insoutenable : grève de la faim pour
faire reconnaître une cause, suicide au travail dans certains cas de mise au
placard ou de harcèlement.
Depuis quelques années, on sait
également que la reconnaissance est non seulement bénéfique pour la personne
qui en reçoit les manifestations, mais également pour celle qui l’exprime. Ici
la notion de reconnaissance mutuelle prend tout son sens. Les travaux des
chercheurs Robert Emmons (Univ. Californie) et Michael McCullough (Univ Miami)
ont montré que le simple fait de « remercier » une personne procure
un sentiment de bien-être bien sûr pour la personne remerciée, et aussi pour la
personne qui remercie, jusqu’à rendre « extrêmement heureux » !
La puissance de la reconnaissance est telle que les travaux de ces chercheurs
ont pu démontrer un lien entre les émotions positives dues à la gratitude
ressentie ET exprimée (il ne suffit pas de ressentir) et la santé physique,
mentale et sociale. L’orientation reconnaissante procure bien-être et vision
plus positive, réduit les risques de dépression, aide à développer du lien
social en favorisant la confiance et les comportements prosociaux.
La reconnaissance mutuelle est un moteur qui peut tout
changer pour le vivre ensemble… en entreprise et dans la société
Il devient clair au vu de toutes
ces découvertes que développer les
manifestations de reconnaissance mutuelle est un enjeu de bien-être dans l’entreprise
et de vivre ensemble dans la société. A l’heure où des radicalisations pseudo
religieuses (en réalité identitaires) dangereuses s’expriment, le déficit de
reconnaissance perçue semble être un
des facteurs majeurs du processus (ce qui ne remet pas en cause la
responsabilité des personnes commettant des actes répréhensibles, mais peut
permettre des pistes de réflexion et d’actions).
Lorsque l’on constate les
bienfaits du phénomène de reconnaissance, il est facile alors de faire le lien,
dans l’entreprise, entre équilibre de reconnaissance perçue et motivation à s’engager,
à optimiser son action, à développer sa créativité et son utilité, etc.
Une des difficultés pour l’entreprise est de savoir comment
doit s’exprimer la reconnaissance
Mais si le lien cognitif peut
aisément être fait (à condition de vouloir entendre, comprendre et d’accepter
les remises en question et les prises de conscience…), une des difficultés de l’entreprise
est assez souvent de savoir COMMENT peut s’exprimer la reconnaissance. Le
premier « réflexe », la pensée la plus immédiate est fréquemment de
vouloir manifester la reconnaissance au travers d’une rémunération. Pourtant,
méfions-nous des évidences ! En effet, agir sur la rémunération est, semble-t-il, le plus simple pour l'entreprise.
Il faut dire
que les collaborateurs sont eux-mêmes victimes de cette illusion qui nous fait
croire que le salaire est l’expression la plus importante de la reconnaissance.
L'entreprise croit alors parfois pouvoir
faire l’économie de questionner sa culture, le cadre organisationnel, sa
politique managériale, la manière dont les personnes interagissent, se parlent,
collaborent… et constater, quelques temps après de fortes augmentations, qu’il
y a toujours des problèmes de baisse de motivation, de déficit collaboratif, de
stress, d’insatisfaction.
Elle n’en est pourtant qu’un des rouages. Rémunérer plus va activer les
systèmes de récompense et donc de motivation du cerveau… pendant quelques mois.
Mais l’effet est limité dans le temps et dans la puissance. A l’inverse, rémunérer insuffisamment un collaborateur
(sentiment d’injustice perçu) sera un facteur de démotivation durable.
En revanche, instaurer la
confiance, développer l’autonomie, permettre les expérimentations, développer
des interactions relationnelles et une culture de reconnaissance dans les
comportements seront des éléments déterminants. Les comportements par exemple
peuvent passer par des choses simples, que l’on oublie souvent : le
bonjour le matin (un vrai bonjour, pas un acte insipide), le remerciement (oui,
les personnes sont payées pour faire ce qu’elles font, et alors ??? En
quoi remercier serait-il contradictoire avec cette réalité ?), le sourire,
l’information partagée, l’interaction en face à face plutôt que par mail ou par
note de service, des emails aux formes soignées… Une myriade de comportements peut
être repensée pour développer une nouvelle culture de reconnaissance au sein d’une
entreprise qui aura peut-être aussi à repenser son organisation, sa
communication, sa relation client et autres processus. Confère l’excellent
reportage de Arte : « Le bonheur au travail ».
Conclusion
En résumé, la reconnaissance
procède à la fois d’une exigence et d’une capacité biologique, participe du
mécanisme de survie individuelle et collective. A ce titre, elle est un enjeu
fondamental de la vie de l’entreprise et de la vie en société. Elle est au cœur
d’un fonctionnement optimisé du cerveau, de l’efficacité professionnelle et de
l’engagement. Elle est très concrètement au cœur de l’approche opérationnelle humaniste
proposée et accompagnée par La Consultante Enervante. Elle est magnifiquement
mise en œuvre avec succès par certaines sociétés françaises performantes (Poult,
Chronoflex, Favi…). Prendre en compte, en profondeur, en conscience, le moteur
de la reconnaissance peut permettre, nous semble-t-il, un tournant déterminant
positif dans la vie, le développement des entreprises et de la société dans son
vivre ensemble.
Sources, les travaux de : Martin
Seligman - chercheur en psychologie et professeur à l'Université de
Pennsylvanie ; Rebecca Shankland - Laboratoire Interuniversitaire de
Psychologie Personnalité, Cognition, Changement Social ; Bernadette
Lecerf-Thomas (« Activer les talents avec les neurosciences ») ; Paul Zak - neurobiologiqte
Repenser l.humanite au cœur des organisations
RépondreSupprimerOui, un gros travail, mais tellement nécessaire que les organisations qui ne l'entreprennent pas mettent en danger leur pérennité. Le monde se transforme, les niveaux de conscience évoluent, et les organisations, pour certaines, restent sur des schémas d'un autre temps qui deviennent alors contre-productif pour le progrès humain, pour le sens des actions et projets, et donc, à terme, pour la performance des entreprises.
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