« Rien n’est permanent, sauf le changement »
- Héraclite
Le changement
est effectivement un processus constant qui concerne tous les êtres vivants. Modifications
mineures ou grands bouleversements, nous vivons des évolutions permanentes, et
nous sommes totalement inconscients d’une grande partie d’entre elles. D’autres
mutations provoquent au contraire contournements, luttes ou crispations, que l’on
appelle des résistances. Pour autant, tout être vivant, même le plus simple, est largement plus compétent qu'une machine, car il sait opérer seul les changements nécessaires pour s'adapter à son environnement.
La résistance :
un processus de défense biologique
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Lorsque les changements sont perceptibles, notamment dans l’entreprise, il est fréquent d’entendre parler de « résistance ». Ceux qui souhaitent un changement, quel qu’il soit, se représentent celui-ci comme une évolution positive et s’agacent parfois des comportements freinants de ceux qui ont une perception différente.
Pourtant, il
faut comprendre que cette résistance est parfaitement naturelle et porte un nom :
l’homéostasie
(combinaison de mots grecs signifiant « rester constant »). Elle est le mécanisme de protection de tous les êtres vivants envers
une modification de l’environnement. L’homéostasie est la capacité d’un organisme
à maintenir une stabilité relative, un équilibre de fonctionnement face aux
contraintes et stimuli. En vérité, cette compétence est essentielle à tout
organisme pour rester en vie. Au sens physiologique du terme, l’homéostasie est
ce qui permet par exemple à notre corps de conserver une température interne
relativement stable en permanence, ou encore de développer des phénomènes de
rétroaction face à une agression virale ou microbienne : montée de fièvre,
transpiration, expectoration, anticorps…
« L’ensemble des processus
homéostatiques gouverne à tout instant chaque cellule de notre corps. Ce
pouvoir s’exerce selon un dispositif simple : premièrement, quelque chose
change dans l’environnement d’un organisme individuel, de façon
interne ou externe. Deuxièmement, ce changement a le potentiel d’altérer le
cours de la vie de l’organisme (il peut constituer une menace pour son
intégrité ou bien une occasion de mieux-être). Troisièmement, l’organisme
détecte le changement et agit en fonction de lui d’une façon conçue pour créer
la situation la plus bénéfique à sa préservation et à son fonctionnement
efficient. Toutes
les réactions se produisent selon ce dispositif et représentent ainsi des
moyens d’apprécier les circonstances internes et externes dans
lesquelles se trouve un organisme, et d’agir conformément à elles ».1
Ainsi, le type
de réaction homéostatique déclenchée est fonction de l’interprétation qui est
faite d’une situation. C’est cette interprétation qui permet à l’organisme de
mettre en œuvre la meilleure réponse possible, selon qu’il se représente le
changement comme une menace pour son intégrité ou une opportunité d’améliorer
son bien-être.
La notion d’homéostasie
est une grille de lecture fondamentale dans la compréhension des comportements
de tous les systèmes humains. Elle est très utile en entreprise. En effet la
réaction homéostatique régit non seulement les fonctionnements physiologiques,
mais également psychologiques et émotionnels. Elle concerne les individus comme
les groupes : ex. la résistance qui s’organise durant la 2ème
guerre mondiale ; les mouvements de protestation face aux perspectives d’une
construction d’autoroute ou de ligne de TGV, face à un projet de loi ; les
mouvements régionalistes ; les grèves ; les stratégies de défense d’une
entreprise lors d’une OPA, d’une attaque de hackers ; adaptation aux
évolutions d’un marché ; la lutte puis la transformation de Lejaby récemment ... Les exemples fourmillent à chaque instant
dans nos vies, car les règles et conventions (sociales, culturelles ou
professionnelles) sont « des
extensions des dispositifs homéostatiques »1 destinées à
préserver un équilibre. Le sont aussi les habitudes, les « on a toujours fait comme ça », les
fonctionnements bien rôdés, voire ritualisés. Autant de processus souvent tout à fait
nécessaires et très utiles mais qu’il est parfois indispensable de questionner malgré
nos réticences, dès lors que des modifications apparaissent dans l'environnement interne/externe, justement pour envisager peut-être d’autres réponses de survie
et de progrès.
Anticiper et s’adapter
demandent une modification du paradigme de l’équilibre... et un processus de résilience
Dans un monde
qui nous bouscule par son instabilité, ses mutations accélérées, ses crises et les
incertitudes induites, il est normal que
les stratégies homéostatiques individuelles et collectives s’activent et
souvent s’opposent, selon la représentation de l’équilibre dans laquelle on se
situe. Par exemple, le tout récent accord du 11 Janvier entre partenaires
sociaux : la négociation portait sur les objectifs homéostatiques de deux
groupes différents : patronaux et salariaux. Face à la crise et à la compétition
mondiale, l’un envisageait son équilibre par un assouplissement de certaines
règles du code du travail, l’autre se représentant au contraire son propre
équilibre par un renforcement de ces règles. Deux perceptions d’une même menace
(crise et globalisation), mais deux représentations différentes des adaptations
à trouver. Pour autant, face à cette menace, des voix patronales ont, elles aussi,
la même demande de renforcement réglementaire, cette fois-ci sur les marchés
internationaux, en réclamant des barrières protectionnistes. Ainsi, les types
de réponses homéostatiques diffèrent ou convergent selon l’échelle et le cadre de
représentation.
Ce qui est paradoxal dans le phénomène
homéostatique, c’est qu’il freine le
changement en tentant de maintenir l’existant par des stratégies de défense, mais qu’il est lui-même
aussi, par essence, un processus de changement. C’est lui qui permet en effet
au système d’opérer les modifications internes nécessaires pour s’adapter
(reprenons l’exemple de la montée de température de notre corps pour lutter
contre un virus). Il joue son rôle de garant de la survie lorsqu’il apporte la meilleure des stratégies,
car les systèmes qui ne peuvent ou ne savent s’adapter meurent à plus ou moins
long terme. Lorsque la stratégie de défense homéostatique d’un système est uniquement
le repli (l’immobilisme) elle s’avère généralement mortifère. Dans le paysage
économique, les exemples de disparition totale ou partielle sont
malheureusement nombreux, qu’il s’agisse de pans entiers de l’économie (l’industrie
de la soie), de métiers (chapeliers, quincaillers,…) de produits ou services
(le Minitel) ou encore d’entreprises spécifiques (Kodak, Virgin France dans l’actualité).
Si la réaction
homéostatique est tout à fait naturelle et inévitable, elle active néanmoins des
automatismes qui du coup n’offrent pas toujours la meilleure réponse pour la
survie du système. Il faut donc se donner les moyens d’aller au-delà de la
seule homéostasie. Qu’il s’agisse d’une personne ou d’une entreprise, toute l’alchimie
d’une adaptation réussie dépend d’un ensemble d’éléments à construire
par un effort de recul faisant appel à notre cortex préfrontal, individuel et
collectif.
Dans un processus agile, le cycle adaptatif
est le suivant :
- Percevoir / anticiper un changement dans l’environnement (ce n’est pas toujours une évidence).
- En détecter et reconnaître les répercussions présentes ou futures sur l’équilibre du système (cela demande une vraie réflexion prospective).
- Vivre toutes les étapes de stress et de deuil d’une situation disparue ou en voie de l’être (phases homéostatiques) en évitant de s’appesantir sur chacune d’entre elles.
- Parvenir à l’ultime étape du deuil : l’acceptation, la réparation (ce que Boris Cyrulnik nomme la résilience)
- Modifier le paradigme, la représentation que le système a de son équilibre : imaginer, visualiser, verbaliser, construire ce que pourra être le nouvel équilibre.
- Alors peuvent se mettre en œuvre des actions d’adaptation afin de transformer le système, pour faire d’une menace perçue une opportunité ou de saisir et développer à coup sûr une chance qui s’offre.
La durée
totale de chaque palier est très variable, selon l’intensité du changement
auquel s’adapter, la profondeur identitaire des homéostasies à faire évoluer et
le niveau de culture d’adaptation du système plus ou moins développée.
Face aux
grands défis du monde en mutation, nos économies occidentales oscillent entre deux
options possibles :
- Une adaptation par rétroaction homéostatique (maintenance de secteurs économiques voués à disparaître, repli sur des schémas protectionnistes de toutes natures, rétrécissement du modèle social…). Le recours à ce type d’adaptation est plus automatique parce que simple à penser. Il fait appel, dans notre cerveau, à notre seul système de « reconnaissance de formes » c’est-à-dire à des mécanismes et solutions déjà connus, à des référents économiques et idéologiques fortement ancrés.
- Une adaptation par l’innovation (remise en cause en profondeur des modèles existants et des modes de pensée, élaboration de scénarios, coopétition, recherche de solutions inédites dans tous les domaines : types de production, cibles, innovation sociale, collaborative, managériale, …). Ce type d’adaptation est moins facile à mettre en œuvre (mais tout à fait possible) parce qu’il demande davantage d’efforts de créativité, d’ouverture/acceptation de l’inconnu, de remise en question des croyances les plus fortes, de prise de risques.
Bâtir sur un terrain mouvant demande sans
doute de renoncer aux fondations classiques, inopérantes dans ce contexte,
voire aux fondations tout court ? De trouver d’autres modes de
construction ? D’autres matériaux ? Ou même d’autres formes d’habitât ?
Bien sûr, il ne s’agit là que d’une métaphore.
1Antonio
Damasio, neurobiologiste - « Spinoza avait raison : joie et
tristesse, le cerveau des émotions ».
Merci Sandrine pour cet article fascinant !
RépondreSupprimerJ'ai eu récemment l'occasion de me "frotter" à la résistance au changement lors de ma précédente mission.
Vos compétences m'auraient été utiles dans certaines situations...
Bien Cordialement,
Véronique TRUPIANO
Conseil en techniques de l'export
Article très intéressant. Pour information, chaque fois que je me suis retrouvée en fin de contrat, je suis passée par le cycle adaptatif que vous décrivez au plan individuel. Puis, le cycle recommence quand j'entame un autre contrat: stress, doute, acception, retrouver un équilibre et mettre en place de nouvelles relations professionnelles avec mes nouveaux collègues et enfin projection de soi à long terme sur le lieu de travail, ou ailleurs, en fonction de la durée du contrat. Au fil des contrats, j'ai appris à reconnaître les étapes et à ne pas paniquer en période de doute. S'adapter à ce changement permanent me demande beaucoup d'énergie que je pourrais sans doute utiliser à des fins plus utiles et plus généreuses au plan systémique, mais c'est là un autre débat qui ne semble peu de monde à l'heure actuelle. Nous sommes nombreux à vivre ces cycles de souffrances répétées chacun dans notre coin et toutes ces marasmes individuels qui nous conduisent au repli sur soi doivent également influer sur le manque de dynamisme global au plan économique. J'apprécie tout particulièrement l'expression "manager humaniste" et je serai ravie d'en rencontrer un quand l'occasion m'en sera enfin donnée. N'hésitez pas à consulter un petit article qui vient sans doute s'inscrire dans les mécanismes de résistance que vous décrivez si bien: http://reseau.nouvelledonne.fr/profiles/blogs/l-re-des-tics-sic
RépondreSupprimerBonne continuation dans vos travaux et musique Maestro!