Individuelle et collective, la
peur, plus contagieuse qu’Ebola, semble nous envahir si largement aujourd’hui
qu’il est peu de discussions, réflexions ou décisions où elle n’est pas perceptible,
explicitement ou implicitement. Il suffit d’écouter les mots, d’observer
actions et comportements pour la sentir s'inviter et parasiter le climat social.
La Consultante Énervante, témoin
de ce phénomène chez de nombreux partenaires, s’est interrogée, avec le filtre
neurosciences, en questionnant cette peur en termes d’utilité / contre
productivité humaine, sociale et économique.

A partir des attentats du 11
Septembre 2001 puis de la progression des nouvelles technologies et de la
mondialisation, la perception de danger ne cessera de se renforcer, faisant
levier au développement d’intérêts financiers, politiques, idéologiques et
médiatiques qui n’auront de cesse de conjuguer leurs efforts pour entretenir un
climat délétère.
Les dossiers de la science n° 40 - Août 2010 |
Des facteurs combinés : biologiques et
environnementaux
Aujourd’hui une multitude de
craintes pesantes envahissent, grignotent nos cerveaux individuels et
sociétaux. Elles ont fermenté durant toutes ces années à partir de deux facteurs
combinés :
Un facteur biologique
- La prédisposition naturelle du cerveau à détecter/projeter/imaginer les dangers et à tenter de les éviter.
- La forte capacité de contagion qui caractérise l’émotion en général et la peur notamment (grâce aux neurones miroirs).
Élément central d’une mécanique au service de notre survie, la peur est la plus puissante de nos
émotions de base, au nombre de quatre (peur, colère, tristesse,
joie). Elle est activée dans notre cerveau à partir d'un petit noyau en forme d'amygdale (schéma ci-dessus) qui va enclencher la stimulation du système hypothalamus, hypophyse, hormone ACTH, glandes surrénales, sécrétion de cortisol (hormone du stress).
C’est grâce / à cause de la puissance de ce processus ancestral de survie que notre cerveau est naturellement plus facilement porté à repérer, projeter les éventualités négatives que les issues favorables. En soutien de cette mécanique, les neurones miroirs et l’empathie nous permettent de ressentir et intégrer ‘en miroir’ les émotions d’autrui. C’est ce qui permet l’effet fortement contagieux de la peur et la transforme en phénomène collectif largement partagé, qui s’amplifie de lui-même.
C’est grâce / à cause de la puissance de ce processus ancestral de survie que notre cerveau est naturellement plus facilement porté à repérer, projeter les éventualités négatives que les issues favorables. En soutien de cette mécanique, les neurones miroirs et l’empathie nous permettent de ressentir et intégrer ‘en miroir’ les émotions d’autrui. C’est ce qui permet l’effet fortement contagieux de la peur et la transforme en phénomène collectif largement partagé, qui s’amplifie de lui-même.
Un facteur environnemental
- De profondes mutations et changements de sociétés sur 30 ans, accélérées depuis dix ans (sachant que le changement est la plupart du temps spontanément perçu dans un premier temps comme un danger pour l’équilibre).

- L’orchestration et l’entretien des peurs et des scénarios catastrophes par de nombreux groupes y ayant un intérêt.
Les changements profonds et
rapides advenus depuis le début des années 2000 dont la perception collective est celle
d’une accumulation de dangers et de risques majeurs : crises économiques,
difficultés sociales, pression accrue, incertitudes professionnelles, menaces
climatiques, radicalisations identitaires ou (prétendument) religieuses,
risques d’épidémies… Autant de sujets sources de stress, d’appréhensions,
d’inquiétude, d’anxiété, et de toutes les déclinaisons possibles de la peur.

Un paradoxe étonnant mais logique
Peur et dérivés (craintes,
appréhensions, aversions, méfiance, anxiété, angoisse…) nidifient et
champignonnent notamment dans deux contextes pouvant sembler paradoxaux :
- En contexte de forte insécurité : guerre, crise économique, sociale, mutations sociétales et sociologiques profondes… Notre environnement global actuel regroupe une conjonction de plusieurs de ces facteurs perçus comme insécurisants, pour les raisons expliquées plus haut.
- En contexte d’hyper sécurité : connaissant peu de changements ou des changements mineurs, où les personnes sont peu confrontées à ce qui est conventionnellement perçu comme un danger, où l’accent est mis sur la sécurité, la précaution, la protection. Dans la culture, les mots, les actes.
C’est par exemple le contexte de
la Fonction Publique. Malgré la sécurité liée au statut, le sentiment de
crainte est perceptible. Le système offre pourtant deux protections
majeures, particulièrement recherchées en tant de crise : sécurité de l’emploi
et assurance d’un revenu régulier. Ici moins qu’ailleurs on pourrait imaginer
des raisons de craindre les lendemains. Pourtant, lorsque des problèmes organisationnels
et relationnels surgissent, proposer quelques petites solutions de changement
demandant par exemple d’expliciter clairement les problèmes, d’interroger et de
s’interroger (de s’exposer plus), de poser un cadre plus précis, fait
fréquemment émerger la peur. Crainte du changement basée sur… « on ne sait pas dire quoi ». Le
risque à changer est factuellement déclaré comme quasi nul par les personnes
concernées, le bénéfice est, lui, reconnu comme possible, et pourtant, la peur
est la plus forte, sans pouvoir identifier quel pourrait être le danger concret.
L’anxiété sociétale ambiante réussit à envahir et contaminer les milieux qui
n’ont pas à craindre les mêmes difficultés, par la simple contamination
ambiante et la projection dramatique qu’elle génère.
En fait, peur et danger factuel
ne sont pas forcément corrélés. D'ailleurs, selon le baromètre Axa Entreprises de Septembre 2014, seuls 9 % des dirigeants déclarent que leur entreprise va mal et
58 % d'entre eux disent que leur entreprise va bien ou très bien2 !
De vraies difficultés existent incontestablement pour certaines personnes : dépôt de bilan/licenciement, chômage, perte de revenu, maladie, agression…). Mais la force contagieuse de la peur est telle, qu’il n’est pas toujours besoin d’être exposé à de vrais risques soi-même pour ressentir l’anxiété et projeter représentations négatives et cascade de perspectives catastrophes.
58 % d'entre eux disent que leur entreprise va bien ou très bien2 !
De vraies difficultés existent incontestablement pour certaines personnes : dépôt de bilan/licenciement, chômage, perte de revenu, maladie, agression…). Mais la force contagieuse de la peur est telle, qu’il n’est pas toujours besoin d’être exposé à de vrais risques soi-même pour ressentir l’anxiété et projeter représentations négatives et cascade de perspectives catastrophes.
A qui profite le crime ? Les médias, et en particulier les
chaînes d’info en continu, ont une lourde responsabilité et un intérêt majeur dans
cette contagion émotionnelle qui leur assure une audience décuplée et régulière
(cf. « Quand les médias jouent avec nos cerveaux et exacerbent des
réflexes défensifs » : http://neuroetmanagement.blogspot.fr/2014/02/quand-les-medias-jouent-avec-nos.html).
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Route courte et route longue dans le cerveau Le blog du cerveau à tous les niveaux |
De même les extrémismes de tous bords :
politiques (toutes étiquettes confondues), pseudo religieux, communautaristes… Tous
cultivent leur ferment clientéliste sur ce terreau. Ils conquièrent des « parts
de marchés » et fidélisent par ce biais facile puisque favorisé par des
dispositions naturelles et demandant moins d’effort énergétique aux individus.
Ces
groupes exacerbent ainsi nos mécanismes biologiques et alimentent la paresse
naturelle de notre cerveau pour lequel il est plus aisé de laisser s’exprimer
une réaction immédiate de type « route courte » : j’aime / je
rejette (voir schéma ci-contre) que de faire l’effort et l’apprentissage d’une
pensée complexe (« route longue »). La route courte tient davantage
du réflexe que de la réflexion qui, elle, intègre la complexité des situations et
la pensée systémique en activant des zones plus nombreuses du cerveau. Mais cette
activation de nombreuses zones du cerveau et connexions neuronales, que demande
l’organisation de la pensée, consomme une grande énergie pour ouvrir nos
systèmes de comparaison, d’ouverture à la relativisation, de compréhension et
de réévaluation. La réflexion mobilise attention, concentration, questionnement,
apprentissage, projections de plusieurs scénarios, pensée analogique… Un
ensemble à l’énergie coûteuse à court terme. C’est pourquoi le cerveau va
spontanément chercher à s’économiser en évitant l’effort. Pourtant, cette
réévaluation des risques et ce travail de dépassement de la peur est bénéfique
à moyen et long terme, individuel autant que collectif.
La peur crée le danger par « Effet Pygmalion »
Au-delà de de la tension
inconfortable qu’elle génère et qui l’alimente (cf. la citation de William
James), il faut comprendre que la peur finit par faire réellement émerger le danger que
nous craignons, ce qui nous porte ensuite à conclure… que nous
avions bien raison d’avoir peur ! C’est ce que l’on appelle l’effet
Pygmalion1.
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Pygmalion et sa statue |
Ceci touche toutes les strates de
la société, y compris les milieux dont on pourrait penser que le rationnel soit
la base de travail et de conduite : les milieux financiers. Pour preuve, le
krach financier qui a fait basculer le monde dans une perception de crise en
2008. Sont-ce de savantes projections rationnelles alliées à de puissants
calculs d’ordinateurs et à une conjoncture critique qui ont fait s’effondrer
les cours en une journée ? Aucunement. Seule une peur irraisonnée et
épidémique née dans le cerveau des traders est à l’origine du marasme : la
peur de perdre de l’argent, plus forte que l’attrait de gains potentiels (cf.
Neuroanatomy of financial decisions in Neurologia – P. Bermejo, faculté de
médecine de Puerta de Hierro, Madrid). La stratégie d’évitement du
danger qui en a découlé a précisément créé les pertes en cascade redoutées.
Si l’on considère l’état général actuel
de l’économie et des relations humaines et sociales, hélas, on peut faire le
même constat de contagion et de prédictions auto réalisatrices par effet
Pygmalion. Bien des entreprises retardent des actions, réduisent les
stratégies, les visions ambitieuses, les investissements, refusent même parfois
d’imaginer l’avenir, par crainte. « on ne peut rien prévoir » « On ne sait pas ce qui va se
passer »… Certaines structures reconnaissent pourtant avoir des commandes
et des marchés, mais préfèrent « rester prudentes et attendre que les choses aillent mieux ».
Or cette inaction prolongée,
imitée par un grand nombre et déguisée sous le terme de « rester prudent », ce repli sur
des scénarios catastrophes, finissent par créer un attentisme collectif. Celui-ci
paralyse l’économie et l’évolution sociale. Il accroît la difficulté d’imaginer
des solutions et représentations différentes du passé, crée davantage de
chômage conséquemment au ralentissement des investissements, fige les échanges,
freine les innovations (pas uniquement technologiques), ralentit les
apprentissages et la société dans son ensemble. Ainsi, la menace d’une
économie bloquée que l’on craignait devient-elle réalité concrète par l’effet
Pygmalion1. La peur s’en trouve alors renforcée, et par là même
la croyance qu’il vaut mieux attendre que « ça » aille mieux et la
boucle est bouclée.
La peur crée ainsi le danger qu’elle
voudrait éviter, se renforce et se nourrit ainsi d’elle-même. C’est une boucle de renforcement négatif dont on
ne peut inverser le processus que par un effort de conscience, de courage et de
confiance dont chaque individu, chaque système, chaque groupe est contributeur.
Un processus ralentisseur de progrès humain,
destructeur de sociétés et d’individus

De la peur des événements et des
changements qui induisent des différences, puis de la peur des différences à la
peur de l’autre, il n’y a qu’un pas. Générant alors la tentation du repli sur
soi individuel ou communautaire pour se rassurer de manière grégaire, provoquant
le rejet offensif mutuel ou la fuite devant la différence, elle déstructure les
fondements du vivre ensemble d’une société.
Ce processus est cruellement
destructeur, tant pour les individus que pour le collectif. Il agit en miroir
sur l’un comme sur l’autre. Individuellement, la peur entame la confiance en
soi, en l’autre, dans les situations et inhibe la valeur de leurs
enseignements. Elle réduit considérablement nos capacités à nous projeter positivement dans un futur, impacte nos décisions, nos actes
et construisent un avenir par défaut. Quelle société, quelle entreprise peut se
construire de manière florissante pour ses acteurs sur de la peur ?
En outre, ce sentiment, ressenti
sur du long terme, active chez les personnes une tension musculaire permanente,
une sécrétion de cortisol abaissant leurs défenses immunitaires les rendant
plus vulnérables aux maladies en tous genres. La peur active le mécanisme du
stress. En seuls termes financiers, le stress et ses maladies corollaires représentent
environ 3 milliards par an pour le seul stress au travail (chiffres déjà
anciens de l’INRS datant de 2010). Mais le coût financier n’est que la plus bénigne des conséquences par rapport aux problèmes humains de santé et sociaux
que les craintes et projections pessimistes engendrent.
Changer de paradigme de pensée grâce à l’opportunité…
des crises Les débuts d’année sont de belles
occasions de remise en question, de nouveaux départs, de choix différents. Et contrairement
à ce que l’on pourrait penser, les crises le sont plus encore !
Bien que vécues par beaucoup d’entre
nous, nous le constatons, comme autant de dangers potentiels, elles sont aussi
de formidables leviers d’apprentissage. Elles ont un prix très lourd, c’est
vrai : de nombreuses personnes en très grandes difficultés de tous types. Mais,
précisément, plus ces conséquences sont lourdes, plus elles peuvent et doivent
nous inciter à agir. Les crises actuelles et leurs symptômes nous alertent sur
des systèmes et comportements qui ne fonctionnent plus, ne sont plus adaptés ou
ne sont plus acceptables.
Elles nous aident, si l’on fait fonctionner notre
système d’attention et de réflexion complexe, à faire évoluer notre niveau de
conscience, de réflexion et de maturité afin d’imaginer de nouveaux modes de
pensée, de projections et d’interactions : humaines, économiques, sociales.
Elles sont le déclencheur nécessaire pour apprendre à agir différemment du
passé et c’est la perspective d’un nouvel équilibre qui peut nourrir cette
motivation. Pourquoi changer sinon, en
effet, si on n’y est pas « contraint » ?
La conscience pour dépasser la peur

L’audace d’imaginer un nouvel équilibre
Le second travail porte sur l’entraînement
à des projections et représentations positives. Imaginer que, malgré
nos craintes et nos interprétations, un nouvel équilibre est possible dans et
par ce chaos. Que non seulement le pire n’est pas inéluctable, mais que notre
futur est toujours fait de ce que nous élaborons individuellement et collectivement.
Ceci implique le processus de réflexion complexe évoqué plus haut. Une prise de
recul indispensable pour considérer les éléments en passant d’un mode « réaction
automatique » (route courte) à un mode d’orientation solutions. L’avenir n’est
pas que la résultante des événements, des systèmes, des facteurs externes, ou d’éléments
miraculeux.
C’est à nous d’avoir de l’audace.
L’audace de projeter le(s) futur(s) positif(s) que nous souhaitons, même s’il
nous semble improbable, irréaliste. Il faut avant tout imaginer et projeter
quelque chose pour ensuite le mettre en objectifs puis agir. Que voulons-nous
vivre et être dans 20 ans ? Quelle société voulons-nous pour nos enfants
et petits-enfants ? Autorisons-nous à une créativité constructive. Le
cerveau humain est extraordinairement créatif en situation contrainte.
Le courage d’agir

La confiance pour réussir
Celle-ci est nécessaire pour
réussir. Car s’il est important de dépasser ses peurs, il faut bien sûr prendre
en compte les obstacles, intégrer les incertitudes fortes et parfois réorienter
objectifs et actions. Seul la confiance et le courage peuvent nous donner l’endurance
nécessaire à la continuité de l’action et de l’évolution.
La bonne nouvelle...
La bonne nouvelle...
La bonne nouvelle est que l’effet
Pygmalion, dont nous avons vu plus haut la boucle négative, fonctionne aussi en
boucle positive ! Cela marche pour encourager le courage, et pour
développer la confiance. Si nous croyons véritablement en un futur positif
possible, en des actions collaboratives porteuses et en notre capacité à
réaliser les objectifs posés, l’effet Pygmalion opère. Il nous aide (consciemment
et inconsciemment) à élaborer nos stratégies, à les restructurer au besoin et à
les mener à bien.
La mission que s’est fixé la
Consultante Énervante est d’aider les entreprises à réaliser ce travail de projection positive, de confiance, et de relations constructives. Ateliers
et accompagnements permettent d’installer de nouvelles relations, une nouvelle
confiance et de nouvelles interactions entre collaborateurs et managers, entre collègues,
entre équipes de direction. Et, au travers d’outils ludiques qui induisent des
projections plus positives, des formes de communications différentes et des
auto-questionnements bienveillants, il est très encourageant de constater que le
plaisir est un moteur puissant du changement. Et de voir avec quel empressement
les personnes sont preneuses de légèreté pour remplacer l’anxiété et la
pesanteur de la méfiance.
Nous ne pouvons plus nous
contenter des seules émotions négatives. Nous devons nous appuyer sur d’autres
bases émotionnelles et d’autres projections, à la fois pour mieux vivre le
présent et pour préparer l’avenir. Et nous voyons ci-dessus que c’est possible.
A nous de le vouloir. En 2015 ? Yes we can !
1Cf. lestravaux de psychologie sociale de Robert Rosenthal – 1971 et du neurobiologiste
Antonio Damasio sur les émotions qui déterminent en partie la façon dont nous prenons
nos décisions et dont nous construisons nos évaluations et jugements
Route longue/courte : http://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_04/i_04_cr/i_04_cr_peu/i_04_cr_peu.html#2
Fonctions de l'amygdale : plus diversifiées qu'on pensait : http://www.blog-lecerveau.org/blog/2014/03/24/fonctions-de-lamygdale-plus-diversifiees-quon-pensait/
Neuroanatomy
of financial decisions in Neurologia – P. Bermejo, faculté de médecine de
Puerta de Hierro, Madrid
Baromètre Axa Entreprise de Septembre 2014: http://www.presse.axafrance.fr/communiques-de-presse/Pages/barometre-preoccupations-chefs-d-entreprise-2014.aspx
Baromètre Axa Entreprise de Septembre 2014: http://www.presse.axafrance.fr/communiques-de-presse/Pages/barometre-preoccupations-chefs-d-entreprise-2014.aspx